20 décembre 2018

Les secrets d'une maison d'édition ! Interview de Frédéric Frère, directeur des Éditions Nouvelle Bibliothèque



Comment et quand as-tu décidé de créer ta propre maison d’édition ? 
Petite précision... Si sur papier il s'agit de MA maison d'édition, je tiens à ce qu'elle devienne LA maison d'édition de nos auteurs et LA maison d'édition de nos lecteurs. Et en rêvant un peu, LA maison d'édition des libraires avec lesquels nous souhaitons (mais le travail sera long) rétablir le lien direct qui a disparu avec l'apparition des grosses boîtes de distribution.
Quand ? En novembre 2017 après une très longue réflexion de deux ans environ. Mais tout ne s'est mis en branle réellement qu'en mai 2018.
Comment ? En prenant la décision de franchir le pas et en m'y investissant à 500%. Tout est parti d'un constat. J'avais l'opportunité, en tant qu'auteur, de signer une grosse maison d'édition. On a crié au fou mais j'ai décidé de refuser. Le contact n'y était pas. L'humain n'y était pas. Je trouvais que l'on considérait l'auteur comme un apporteur d'affaires plus qu'autre chose et qu'il ne se résumait qu'à ça. J'ai écouté les acteurs de la sphère indépendante comme ceux qui avaient déjà signé une ME et le constat était assez édifiant : beaucoup de griefs qui tournaient autour des ME étaient une certaine rigidité, une certaine froideur et un nombre incalculable de mirages que l'on faisait allègrement miroiter. Évidemment, ceci n'est pas une généralité et qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. De grosses ME et de qualité, il y en a. De plus, nombre de critiques entendues étaient aussi la résultante d'une certaine déception. Il n'est jamais agréable pour un auteur, quel qu'il soit, de se voir opposer une fin de non-recevoir. Un ouvrage, c'est un travail. C'est beaucoup d'investissement de soi. Et un refus est souvent assimilé à un refus de soi plus que de l'ouvrage. Avec toutes les implications que cela engendre au niveau personnel. La dimension de l'ego est une donnée très importante et très répandue dans l'univers littéraire. A tort. Rien de tel que la simplicité et l’humanité. Ce sont des facilitateurs et des vecteurs de communication très forts. Bref, je suis parti de ces constats pour me dire que j'allais créer une ME différente. Plus accessible. Plus humaine. Où les auteurs puissent se sentir bien et considérés dans les limites du possible et du raisonnable. J'ai donc listé tout ce que j'avais trouvé de bien et de négatif auprès de la ME qui voulait me faire signer. Et j'ai décidé de bâtir les Éditions Nouvelle Bibliothèque en mettant particulièrement l'accent sur tout ce que j'avais trouvé de négatif, en me disant : " Je ferai autrement". Et un soir de novembre 2017, alors que je zonais sur internet, allez savoir pourquoi, j'ai décidé de déclarer une nouvelle ME à la chambre du commerce. L'aventure commençait.

Quelles sont les différentes missions d’un éditeur ? 
Je risque d'en surprendre plus d'un, mais les missions d'un éditeur ne sont pas légion. Son rôle est très simple en fait et défini par la loi ainsi que sur les contrats qu'il propose.
Son rôle, en amont, est de préparer l'ouvrage, de lui donner forme. Ensuite de le publier et d'assurer une diffusion active de l’ouvrage afin de lui donner toutes ses chances de succès auprès du public. A cet effet il doit :
- présenter l’ouvrage sur ses catalogues,
- présenter l’ouvrage comme disponible dans au moins une des principales bases de données interprofessionnelles répertoriant les œuvres disponibles commercialement,
- rendre disponible l’ouvrage dans une qualité respectueuse de l’œuvre et conforme aux règles de l’art, quel que soit le circuit de diffusion,
- satisfaire dans les meilleurs délais les commandes de l’ouvrage.
Stricto sensu, le rôle d'un éditeur s'arrête là. Tout ce qui vient après, avant ou autour est ce qui fait l'identité de l'éditeur.
J'aime à rappeler ce point très précis. Beaucoup pensent que l'éditeur est aussi Agence littéraire, agence de communication, agence de marketing voire même parfois secrétaire particulier. Seule les grosse ME ont les moyens d'assurer tous ces rôles. Quoi que secrétaire particulier, je demande à voir...
A notre niveau, au-delà de ces missions de base, nous axons beaucoup et autant que faire se peut, notre travail autour de l'auteur. Mais aussi autour du groupe d'auteurs qui se constitue en essayant de favoriser le partage d'expérience et les échanges dans le respect des différences et selon les affinités qui peuvent se créer. Dans tout le process éditorial, l'auteur a toujours son mot à dire. Nous l'écoutons et si ses souhaits rejoignent les possibles, nous allons toujours dans le sens de l'auteur. Après, tout n'est pas toujours possible selon les contraintes financières, techniques, de temps, de moyens humains. Et je parle de souhaits. Les exigences n'ont aucune place aux Éditions Nouvelle Bibliothèque ni dans aucune autre maison d'édition d'ailleurs. Nous essayons aussi, autant que faire se peut, d'accompagner les auteurs dans tous les aspects de la vocation qu'ils se sont choisie.

Laquelle te tient le plus à cœur ? 
A proprement parler, ce n'est pas une mission... C'est une volonté. Mon credo. C'est la relation de proximité que j'essaie, avec mon équipe éditoriale, de maintenir avec les auteurs. Une proximité la plus directe et la plus franche possible même si cela est parfois assez chronophage et parfois compliqué à combiner avec les exigences des échéances et du volume de travail que représente la direction et la gestion d'une ME, ses projets de développements et tout ce que cela implique.
Il y en a une deuxième qui n'est pas une mission à proprement parler non plus... quoi que... c'est d'imaginer et de mettre en branle les projets de développement. Mon âme de bâtisseur peut-être...

Pourrais-tu nous décrire une journée dans une maison d’édition ? 
Je crois que la journée est différente d'une ME à une autre et qu'il n'existe pas de journée type. Chaque jour apporte son lot d'urgences, de joies, de crispations, de rencontres ; d'inédits... Pour ma part, tout commence avec une tasse de café. Ensuite, un petit tour de veille sur les réseaux sociaux (le tour du propriétaire comme j'ai l'habitude de le dire). Seulement après, j'ouvre ma boîte mail. En règle générale, la matinée est consacrée à l'administratif et la gestion courante. L'après-midi est consacrée au process éditorial, aux rendez-vous téléphoniques ou physiques, à la ventilation des manuscrits au niveau des comités (présélection, sélection ou validation), aux retours des synthèses des réunions des différents comités aux auteurs concernés, aux échanges avec le graphiste pour les couvertures, au maquettage, aux contacts libraires, presse et clients, à l'équipe commerciale, au marketing et à me tenir informé de tout ce qui se passe au sein de la section Jeunesse et des comités. Et j'oublie certainement encore beaucoup de choses. La journée la plus typée étant le vendredi. Le matin, c'est la comptabilité. L'après-midi, c'est une veille active sur les réseaux sociaux, les sites auteurs, Amazon, Short Édition et d'autres supports où les auteurs publient certains de leurs écrits et le suivi de nos références et relations avec Dilicom, Electre, le FEL et la BNF. Une chose est récurrente aussi... la journée ne se termine jamais. Même pendant le sommeil...

Combien as-tu de collaborateurs et quelles sont fonctions ? 
Il y a du monde. Des personnes impliquées directement dans le process éditorial comme Stéphanie, directrice de la section Jeunesse ; Emma qui gère toute la partie des relations avec les chroniqueurs partenaires mais indépendants et les relations extérieures avec nos prestataires présents ou futurs et les institutions. Brian qui réalise toutes les couvertures de nos ouvrages.
Des personnes bénévoles impliquées aussi dans les différents comités (adulte et jeunesse) : une quarantaine de personnes. Sans oublier Florence qui anime le comité jeunesse constitué d'enfants de 8 à 18 ans dont la mission est de sélectionner les ouvrages jeunesse que nous éditerons.
Il y a les chroniqueurs aussi qui jouent un rôle important dans la diffusion de l'information et qui sont un pivot primordial dans notre communication.
Et, au cas par cas, il y a toutes ces volontés, nombreuses et régulières qui se manifestent et qui, même si elles ne font pas partie directement de la ME, n'en constituent pas moins un pilier important. Nous sommes d'ailleurs les premiers étonnés de voir à quel point notre vision de l'édition et notre état d'esprit fédèrent autour de notre projet.

Quelles sont les spécificités des Éditions Nouvelle Bibliothèque ?
Un peu tout ce qui est dit en haut. Pour résumer, je dirais que nous envisageons notre Maison d'Édition comme une famille. Chacun avec ses spécificités mais pour le partage et aller ensemble dans le même sens. Mais la meilleure manière de le savoir est peut-être d'interroger les auteurs eux-mêmes ou de voir la multitude de témoignages que nous pouvons recevoir, même de maison d'édition beaucoup plus importante que la nôtre.
Au-delà de ce point, une spécificité propre aux Éditions Nouvelle Bibliothèque est de croître très rapidement grâce à la collaboration bienveillante et au support de notre partenaire actuel, le groupe Hachette Livre.

Tu es également auteur, pourrais-tu nous en dire un peu plus ? 
Je ne mélange pas les genres et j'en ai parlé un peu plus haut ! :)  Tout ce que je souhaite en dire, pour le moment, c'est que c'est d'ailleurs une grosse interrogation pour moi... est-ce que je m'édite moi-même ? Actuellement, la question est non. D'ailleurs, la ME me prend tout mon temps et ma passion de l'écriture est réduite à la portion congrue. Et si un jour j'y pensais, mon manuscrit passerait anonyme par tout le process de sélection. Et puis... être juge et partie est toujours un exercice très délicat.

Le mot de la fin ? 
Que jamais aucun auteur n'oublie qu'être signé par une ME n'est pas une fin en soi. C'est un début et le plus dur arrive après la signature. Le succès n'arrive pas d'un coup de baguette magique. Un livre est comme un enfant. L'édition est sa naissance... après, pour le faire grandir, il faut l'accompagner, l'entourer, l'encadrer, le pousser, s'en occuper. L'auteur qui ne se préoccupe pas de porter son ouvrage après édition ne le verra pas croître. L'éditeur est un support. Pas un suppléant de l'auteur.

Pour aller plus loin 


Pour découvrir les premiers ouvrages des Éditions Nouvelle Bibliothèque

5 commentaires:

  1. A en juger à quelques 800 Km de distance, je peux témoigner que tout ce que dit Frédéric Frère me semble exact. Je n'ai pas l'expérience de grandes ME mais je ressens que celle-ci est un peu particulière, qu'elle se développe à une vitesse vertigineuse. Je suis sidéré de voir l'énergie et le soin qu'y mettent ses créateurs. Mon seul regret est que nous soyons tous disséminés un peu partout en France et que pour se croiser et discuter ensemble dans la vie réelle, il faudra attendre que notre ME ait un stand au salon du livre à Paris. Ah la soirée que l'on se ferait à Montmartre ou à Saint Germain des prés!

    RépondreSupprimer
  2. Interview très intéressante: longue vie à cette nouvelle ME alors ! :)

    RépondreSupprimer
  3. Pour y être édité, je peux témoigner que tout ce que dit Frédéric Frère reflète bien la réalité des ENB. Est elle à part des autres comme il le dit, je n'ai pas l'expérience pour en témoigner, mais intuitivement je dirais oui. Y est on bien? Oui, plutôt bien. Alors bien sûr, un livre, comme il le dit, est un enfant qu'il faut faire grandir. Cela demande un acharnement qui peut varier d'une personnalité d'auteur à une autre. Et puis les enfants, il y en a qui font plus de bruit que les autres...

    RépondreSupprimer
  4. L'interview et le commentaire de l'auteur qui y est publié donnent envie ...
    J'aimerais beaucoup rencontrer un éditeur non formaté et avec lequel un dialogue intelligent soit possible.

    RépondreSupprimer

Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.