02 décembre 2019

Chronique littéraire : Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena (P.O.L.)

Grand Prix des Lectrices Elle 2020
Catégorie document - Octobre 2019.
Un roman-témoignage qui mêle la petite et la grande histoire de façon très touchante, en particulier lorsque le narrateur souligne des faits historiques majeurs et des événements de la vie du protagoniste ou de sa famille, alternant les approches et soulignant l’absurdité et l’horreur de la guerre. 
Un roman simple, humble mais d’une force inouïe.
Un déchirement vu par un jeune expatrié, qui se sent coupable de ne pas partager le malheur de sa mère, de sa famille, de son peuple, qui vit son exil comme un abandon honteux.
Il ne s’était pas particulièrement senti juif jusqu’à ce moment-là.
« Qu’est-ce qui nous fait sentir une chose plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce qui fait que parfois nous disons que nous sommes juifs, argentins, polonais, professeurs, chanteurs de tango ou joueurs de football ? Qu’est-ce qui fait que parfois nous parlons de nous-mêmes en étant si certains que nous ne sommes qu’une seule chose, une chose simple, figée, immuable, une chose que nous pouvons connaître et définir en un seul mot ? » (pp. 30-31)
Face à l’horreur et à l’enfer de ne pas savoir,  d’imaginer ce que vivent les Juifs dans toute l’Europe, Vicente se tait.

« Et il marchait, et il pensait – et de nouveau tous les mots lui devenaient insupportables. » (p. 92)
Un roman qui analyse l’antisémitisme et le sort des Juifs en Allemagne et dans les territoires occupés par les nazis, mais aussi les réactions de la communauté internationale et les sentiments de ceux qui étaient à l’étranger quand c’est arrivé, qui ont échappé au massacre et qui ne peuvent rien faire pour les leurs.
Ceci explique le ghetto intérieur que Vicente crée et dans lequel il s’enferme pour ne plus ressentir la culpabilité, la rage, la peine indicible lorsqu’il pense aux siens.
« Il acceptait, depuis des mois déjà, de se nourrir, de respirer. Il acceptait, depuis des jours et des jours, de vivre, de rester en vie. N’en était-ce pas déjà assez ? N’en était-ce pas déjà trop ? » (p. 102)
L’incompréhension est aussi au cœur de ce roman.
« Onze millions de personnes à assassiner. Peut-on penser l’impensable ? Peut-on comprendre l’incompréhensible ? » (p. 107) « Il aspirait à un silence si fort, si continu, si insistant, si acharné, que tout deviendrait lointain, invisible, inaudible – un silence si tenace que tout se perdrait dans un brouillard de neige. » (p. 122)
S’extraire d’un monde qui le fait souffrir, et retourner en enfance en quelque sorte car la neige symbolise pour lui l’enfance et la Pologne.
« Et de cette fuite immobile, dans cette quête incessante de l’ignorance, dans ce choix funeste d’une mort lente et méticuleuse, une seule chose allait lui permettre de survivre : le jeu. » (p. 163)
En conclusion, un livre à lire sur une période historique clé, sur l’enfer vécu par tout un peuple, sur l’enfer d’un ghetto intérieur faute d’habiter le ghetto de Varsovie, sur la culpabilité des survivants. Un texte très fort ! 

4 commentaires:

  1. Ta chronique est splendide ! Bravo <3 J'ai maintenant très envie de le lire et je me le note !

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  2. Oh, une superbe analyse (et j''aime l'idée de citer des extraits… c'est amusant, mais je note, justement, des phrases qui "claquent bien", dans le recueil "Dissonances" !)…

    En tous cas, là, cela montre aussi les niveaux de lecture possible, un peu comme des strates… (ou des focalisations successives… ).

    Un livre qui interpelle, j'en ai entendu parler, déjà, même si pour le moment, je ne l'ai pas lu…

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    1. Merci Solange ! Comme j'ai hâte de lire ton retour 📚📚📚 Bises 😘

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Gabriel et Marie-Hélène.