07 septembre 2020

Chronique littéraire : Trencadis de Caroline Deyns (Quidam éditeur)

Explorateurs de la rentrée littéraire - Lecteurs.com

Description de l'éditeur

«Je montrerai tout. Mon cœur, mes émotions. Vert - rouge - jaune - bleu - violet. Haine -amour - rire - peur - tendresse.»

Niki hait l’arête, la ligne droite, la symétrie. A l’inverse, l’ondulation, la courbe, le rond ont le pouvoir de déliter la moindre de ses tensions. Délayer les amertumes, délier les pliures : un langage architectural qui parlerait la langue des berceuses. Aussi vit-elle sa visite au parc Güell comme une véritable épiphanie. Tout ici la transporte, des vagues pierrées à leur miroitement singulier. Trencadis est le mot qu’elle retient : une mosaïque d’éclats de céramique et de verre. De la vieille vaisselle cassée recyclée pour faire simple.

Si je comprends bien, se dit-elle, le trencadis est un cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction. Concasser l’unique pour épanouir le composite. Broyer le figé pour enfanter le mouvement. Briser le quotidien pour inventer le féérique. Elle rit : ce devrait être presque un art de vie, non ?

Ma chronique

Niki de Saint Phalle : une personnalité forte, en décalage avec son temps, qui a placé la liberté de créer, de faire ce qui lui tenait à cœur, et la maintenait en vie, avant tout. Pour cela, elle a même abandonné ses enfants. Son cheminement d'enfant violée par son père, de fille d'une mère peu attentive (euphémisme du siècle, une mère très belle aussi, mondaine et glacée, le contraire physique des créations de Niki), l'a conduite, à travers sa folie créatrice, sa démesure, à travers l'Art, et grâce à cette passion, née "chez les fous", à exorciser, tant bien que mal, ses démons, à échapper au suicide, à l'auto destruction.

Un nom célèbre, associé à des formes féminines épanouies, à des rondeurs joyeuses et colorées. Qui aurait pu penser que cette exubérance réconfortante était une réponse à ce choc majeur dans son existence. On comprend que la technique du Trencadis l'ait subjuguée, révélation que d'une personnalité pulvérisée, fracassée (ici par l'inceste, puis l'indifférence ou le déni de l'entourage) il pouvait sortir de l'harmonie et de la beauté. Recyclage superbe et salvateur de l'effraction et du malheur qui vous a mise en miettes. Et vaille que vaille on se recompose, littéralement on "recolle les morceaux."

Ce livre, superbement écrit (probablement l'un de mes préférés de cette rentrée littéraire sur le plan de l'écriture), qui s'attache à mêler fond et forme, est fascinant, puissant, troublant et m'a profondément touchée.

Niki à Eva : "On n'a rien fait encore. Tu vas voir. À bas l'art pour le salon. VIVE LA GRANDEUR ! LA FORCE ! LA FEMME ! VIVE LE CON !" ( Page 205).

Le voyage créatif et humain de Niki prouve, si besoin était, la valeur rédemptrice et salvatrice de l'Art sous toutes ses formes, mais aussi le danger infini des secrets de famille, du silence. En effet, les œuvres de Niki (sculptures mais aussi cinéma) sont un cri, une révélation, un besoin de faire entendre sa voix de petite fille souillée à jamais, du noir qui encombre son corps et son esprit, une tentative de se débarrasser du monstre qui peut être en chacun de nous, même chez ceux qui sont censés nous protéger.

Nikki : "J'ai eu la chance de rencontrer l'art parce que j'avais, sur le plan psychologique, tout ce qu'il faut pour devenir une terroriste." ( Page 195).

Retranscrire la rage, la colère, l'incroyable sentiment d'injustice qui donnent envie de hurler et de tout casser, justement.

Un roman que je n'hésite pas à recommander ! 

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