02 août 2022

Interview de Jimmy Trapon - par Sylvie Guérin.

L’amour des mots, tout petit déjà, selon la formule consacrée, on peut penser qu’il vous a aidé ? Savoir nommer les choses et les émotions, déchiffrer le monde, cela vous a construit ? C’était une nécessité vitale ? La fin de l’ennui ?

La réponse est dans la question. Au-delà de l’amour qu’on peut leur porter, les mots sont effectivement primordiaux dans la construction de la pensée, de la réflexion, pour comprendre le monde qui nous entoure. Les mots peuvent nous aider à nommer les choses, encore faut-il ensuite savoir verbaliser. Être capable de les exprimer par le langage oral. C’est la grande difficulté par exemple du narrateur du « Silence des mouches ». Les mots sont là, à l’intérieur, mais qu’il est difficile pour lui de les sortir vers l’extérieur. Quant à la nécessité vitale des mots, j’aurais tendance à répondre que oui. Dans le sens où la lecture ou l’écriture sont très souvent des moments où l’esprit fonctionne, où l’on se sent vivant.


Que pensez-vous de la polémique autour des lycéens qui agressent sur les réseaux sociaux une auteure dont ils n’ont pas compris le texte ? Je ne parle pas tant ici du phénomène de société que de la perte de leur propre langue, du déficit de vocabulaire, de syntaxe, d’orthographe ? Est-ce que vous trouvez cela triste, grave, le fait d’une minorité ? Inéluctable, la langue évoluant quoi qu’on fasse ?

Cette agression est d’une tristesse infinie bien que peu surprenante à mon sens. Elle rejoint ce que nous abordions précédemment. L’absence de vocabulaire, l’absence de mot pour exprimer ses émotions, ses opinions, engendre inévitablement de la frustration. Ajoutez à cela le sentiment d’impunité présent sur les réseaux sociaux, et vous avez ce genre de phénomène. L’exemple de cette auteure n’est malheureusement pas un cas isolé. Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’une langue évolue inévitablement avec le temps. Néanmoins, concernant la langue française, j’ai tendance à penser qu’elle s’appauvrit considérablement. Il y a un rétrécissement évident du champ lexical. Pour rester dans la polémique, des bacheliers se sont également retrouvés en difficulté au bac de français parce qu’ils ne comprenaient pas le mot « ludique ». Un comble quand on sait aujourd’hui que beaucoup d’apprentissages à l’école doivent passer par ce biais. Les écrans remplacent les livres. L’image remplace les mots. L’émotion remplace la réflexion. Dès lors, une société qui perd son langage perd inéluctablement sa pensée. Elle façonne les contours d’une société à la pensée unique. Sans le verbe, la contradiction devient parfaitement impossible. Une société qui n’a pas les mots et une société qui ne peut plus s’exprimer. Comment alors manifester son désaccord, sa frustration. La violence en devient le chemin le plus court. Le plus facile.


Vous êtes par ailleurs le parolier d’un groupe de métal rock, la démarche d’écriture est-elle la même ?  Pour une chanson, les paroles viennent-elles avant, après, en même temps, ça dépend ? Dans les phrases de vos livres il y a aussi une musicalité bien souvent (le train par exemple) est-ce qu’on entend une musique quand on écrit, ou du moins un phrasé, un certain rythme ? Vous relisez-vous à voix haute ?

La démarche d’écriture entre une chanson et un roman est très différente. Ce n’est pas la même approche. L’écriture d’une chanson doit composer avec la contrainte de l’instrumental et donc de ce que cela engendre, en particulier un temps limité pour raconter. Pour une chanson, je vais travailler dans un premier temps sur la rythmique, sur les placements du texte, le nombre de syllabes, les sonorités. Je débute par la forme avant le fond, à l’inverse d’un livre, où ce travail de forme se dessine davantage dans un second temps. J’accorde beaucoup d’importance à la musicalité dans l’un comme dans l’autre. Le rythme est très important pour la fluidité de la lecture. Tout comme les sonorités, les couleurs, les images. Écrire un livre, c’est jouer de la musique et peindre en même temps. Vous aurez beau avoir un scénario béton, une histoire bien ficelée, si la forme n’y est pas, il sera difficile d’embarquer le lecteur. Lorsque j’écris, le rythme m’accompagne systématiquement. Je marque très souvent le temps en me relisant à haute voix. Pour m’assurer que le tempo est bon. Que la musique est bonne.


Votre écriture est créative, innovante (je trouve d’ailleurs que vous osez plus dans ce deuxième opus avec le même narrateur), y a-t-il plus de liberté quand on écrit une chanson, où l’on peut répéter 50 fois la même phrase par exemple, ou la laisser en suspens ? Aimeriez-vous transférer cette liberté dans vos romans ou nouvelles ? Vous avez « samplé » une phrase d’un de vos livres dans une chanson, quel usage est venu en premier ? Le faites-vous souvent ?

La liberté de la fainéantise, très certainement ! Si vous écrivez 50 fois la même phrase dans une chanson, vous êtes un sacré branleur. Si votre chanson cartonne, alors vous êtes un génie. Je trouve que la liberté est infiniment plus grande dans l’écriture d’un roman. La contrainte du temps n’existe pas. Vous pouvez vous planquer derrière un narrateur. Vous pouvez inventer tout ce que vous voulez. Vous pouvez tout raconter. Pour moi, la liberté est absolue dans l’écriture d’un roman. Je ne sais pas quelle phrase vous évoquez quand vous parlez de celle que j’ai « samplé », néanmoins, il m’arrive en effet de placer quelques paroles de chansons dans mes livres. Comme des clins d’œil à ceux qui me suivent dans ces deux univers.


Je sais que vous aimez Houellebecq, Céline, (grand inventeur d’une langue nouvelle, justement), pourriez-vous nous en dire plus ? 

Par rapport à l’importance de leur bibliographie, je les connais finalement assez peu. J’ai lu seulement trois ou quatre livres de chacun de ces deux auteurs. J’ai découvert Céline à travers son voyage au bout de la nuit. Ce livre a été pour moi une révélation. Malgré quelques longueurs, j’ai pris une énorme claque en dévorant ces pages. La qualité d’écriture, le rythme, le son, le langage, le déroulement du récit. C’est un livre fantastique. Mort à crédit m’avait beaucoup plu également, dans la continuité du précédent. Le côté retour en enfance mélangé à une certaine violence m’avait beaucoup touché. Concernant Houellebecq, j’apprécie énormément son côté visionnaire et désabusé. Loin du politiquement correct, un brin provocateur, c’est un auteur que j’ai souvent plaisir à écouter.


Vous reconnaissez-vous particulièrement dans certains auteurs — toutes époques confondues ? Pourrait-on parler d’influences ? de ressemblances ? 

Je me sentirais légèrement prétentieux d’affirmer que je me reconnais dans certains auteurs. Néanmoins, je suppose que certains m’ont influencé d’une manière ou d’une autre. Je pense notamment à Charles Bukowski, John et Dan Fante, Boris Vian. J’ai découvert très récemment Alphonse Boudard qu’on m’avait conseillé. J’y ai trouvé une petite ressemblance dans l’utilisation d’un langage argotique. 


Enfant vous étiez boulimique – de lecture –, cette boulimie vous est-elle restée ?

Beaucoup moins, malheureusement. Faute de temps principalement. Toutefois, j’ai toujours un livre en cours de lecture. Je ne suis jamais sans rien à lire. 


Que lisez-vous ? Vos préférences, et sur quels supports ?

C’est une réponse des plus basiques, mais pourtant… Je lis vraiment de tout. Mes trois dernières lectures en sont l’illustration. Mourir d’enfance de Boudard, un roman. Les arts et l’humanité d’aujourd’hui de Panaït Istrati, un auteur roumain qui évoque dans une sorte de confession touchante son regard sur l’Art et la beauté. Je viens de débuter Le mythe de Sisyphe, un essai de Camus. Et j’ai prévu de lire ensuite une novella dystopique d’un copain auteur. Je lis essentiellement sur papier. J’ai reçu une liseuse comme cadeau à Noël, elle est toujours dans son carton. 


Vous aimez l’argot, le pur, le vrai, où l’avez-vous appris ? Suffit-il d’être parisien depuis pas mal d’années ? Pour ma part il y eut la famille et certains auteurs comme Frédéric Dard (à qui vous ressemblez beaucoup pour la tendresse exaspérée et fâchée envers ses semblables !), les chansons populaires d’avant et après-guerre...

J’ai appris l’argot essentiellement dans ma famille. Mon père a toujours utilisé un vocabulaire argotique, j’ai grandi avec ces drôles de mots. Ces expressions marrantes. La littérature et les vieilles chansons françaises m’ont également beaucoup appris de ce vocabulaire.


Confirmez-vous que l’écriture est salvatrice ? Qu’elle est un exutoire salutaire pour tout ce dont on souhaite se débarrasser, se nettoyer ? C’est ce que l’on comprend en tout cas, pour remettre en ordre son chaos intérieur, celui du monde peut-être aussi.

J’imagine que l’écriture peut être salvatrice pour certains. J’ignore si elle me sauve au quotidien, mais elle représente quelquefois un très bon exutoire, je le confirme. Remettre de l’ordre en nommant le désordre. Mes récits sont assez bruts et percutants, j’aime l’idée que l’écriture puisse rendre belles des choses qui sont d’ordinaire assez laides.


Pour aller plus loin

Des nouvelles du nord de Paname de Jimmy Trapon.

Chronique de Sylvie Guérin: Le silence des Mouches

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