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27 mars 2019

Invité : BOUNGUILI Le Presque Grand, poète, nous parle de la littérature gabonaise.

                La poésie gabonaise à travers quatre auteurs

La littérature gabonaise a son essence dans sa poésie. Nombreux sont les écrivains gabonais qui ont entamé leur itinéraire littéraire à travers la poésie pour ensuite se tourner vers d’autres genres avec des fortunes diverses. Lorsqu’on dresse un comparatif, on s’aperçoit que la poésie est le moyen par excellence pour les Gabonais d’exprimer sans les détours de la fiction en prose, des préoccupations profondes et des aspirations communautaires au sens altruiste de ce cet adjectif.
                L’on peut s’en apercevoir à travers les écrits poétiques de Muetse Destinée Mboga par exemple dans son premier ouvrage Muendu Murime. Le voyage du cœur (Jets d’encre, 2012). 




Dans cet ouvrage, l’écrivaine ne fait pas que traduire les lamentations et cris plaintifs motivés par le deuil. Même si la perte d’un être cher (le géniteur en l’occurrence) constitue le fil rouge de cette œuvre, la poétesse et romancière s’interroge également sur les relations humaines en général, et la condition de l’Africain aveuglé par les mirages de l’ailleurs.

                 J’ai découvert Muetse Destinée Mboga en partant de ses œuvres en prose les plus récentes (Une Âme aux enchères, Demain, je m’en vais, je meurs) à celle-ci qui est la plus datée. Et s’il fallait retenir une unité de sens à cette odyssée à rebours, je dirais volontiers la notion de littérature exploratoire. En l’occurrence, les œuvres scrutent l’humain et sa société dans un mouvement de soi vers celle-ci. Après avoir mené sa propre introspection en poésie, invitant au passage le lecteur dans ce « Moi qui se perd en moi », l’écrivaine explore désormais la société gabonaise en particulier dans ce qu’elle renferme de travers, dans sa part d’ombre. Ses dernières compositions dans le récent recueil poétique collectif Souffle équatorial (Dacres, 2019) montre indéniablement une écriture poétique vouée à mettre en peinture une société où le politique gouverne sans se donner des repères moraux et en promouvant en même temps l’iniquité.

                Ce positionnement politique est encore plus marqué chez Benicien Bouschedy (Rêve mortel, La Doxa, 2017), Peter Stephen Assaghle (Dites au roi d’aller au diable, La Doxa, 2016) ou encore Cheryl Itanda (Sos Motem, Dacres, 2018).





Mais il serait à la fois réducteur et inexact de situer la valeur de ces œuvres et de leurs poètes respectifs dans leur inscription sociopolitique. Ce qui retient l’attention est la volonté de ces poètes d’explorer toutes les formes poétiques (prose poétique, versification, rimes, vers irréguliers). Chez Benicien Bouschedy et Cheryl Itanda, la prose poétique est privilégiée pour traduire une époque et ses soubresauts. Pour sa part, Peter Stephen Assaghle mêle des compositions en vers et en prose. Ces diverses modalités de mise en forme ne sont pas que la traduction d’une subversion des formes. On pourrait y lire aussi la recherche d’une forme langagière qui épouse aussi bien l’intranquillité des auteurs et le capharnaüm de la réalité dépeinte : celle d’une société gabonaise dont les fondements sont ébranlés et qui plus que jamais se cherche une voie et des voix.

                La force de ces trois derniers auteurs se situe aussi dans la puissance de leur langage poétique qui oscille entre une langue populaire au sens où elle emprunte les lexies du langage populaire gabonais mais aussi dans la mesure où ce langage endosse les cris et meurtrissures d’un peuple. Comme Césaire, la révolte de Benicien Bouschedy a pour origine la contemplation d’un terroir-mouroir avec lequel il veut faire corps et porter haut les souffrances. Comment y parvenir si ce n’est en inoculant la révolte ? Comme Césaire, sa poésie est éruptive, elle veut déstabiliser les « assises » de ce vieux monde où les fémelins et autres changelins se passent le mot pour gouverner au mépris de toute éthique du prochain. Comme Césaire, l’auteur en appelle à un matin nouveau, ce matin au bout duquel le ciel en sort lavé de toutes les souillures au bénéfice de la lignée à venir. Et dans un élan prophétique sinon christique il clame : « Ôtez-vous de mon chemin, infidèles serviteurs, pour que je lustre le soleil qui éclairera les pas de mes héritiers. » Là où Césaire disait vouloir « ouvrir les yeux de mon fils sur un nouveau soleil ». Ce langage est sublime également pour le symbolisme qu’il convoque, symbolisme puisé notamment dans un fonds culturel et dans la réactualisation des discours de libération de l’Afrique. Pour ce faire, Cheryl Itanda par exemple met en branle le langage qui doit précipiter la venue d’un jour neuf. Il se fait volontiers l’avocat du Peuple opprimé et de ses légitimes espérances. Sa voix vient accompagner ceux-ci en même temps qu’elle accuse une certaine engeance prise en flagrant délit de collusion avec l’empire de la nuit. Et pour donner un souffle messianique et renaissant à son élan poétique, il n’hésite pas à pasticher Hugo et Césaire non sans une certaine connivence idéologique avec ces derniers, entièrement revendiquée. Le poète prend d’abord rendez-vous avec cette aube nouvelle en train de poindre à l’horizon :             
Demain dès le chant de l'alternance,Quand retentira le cor de la victoire,Quand la liberté mettra fin à son errance,Quand la confiance supplantera le désespoir,Je mettrai fin à mon exil en terre de FranceEt je l’honorerai de ma présence Puis il devine et annonce par où et quand viendra cette nouvelle ère :
 Au petit matin par la voute bleueSe lèvera le jour radieuxAu petit matin par le vent purS’éloignera la nuit impure
                Mais ce jour neuf passe nécessairement par une bataille épique entre les tenants de la nuit dictatoriale et le Peuple. Ce dernier, par la voix de Peter Stephen Assaghle travaille à l’envoyer vers le diable dont les dictatures semblent se réclamer. Aussi, dans son adresse au « roi », le poète se montre sans concession. Ainsi, « Dites au roi d’aller au diable », le poème éponyme est un implacable réquisitoire contre un roi dont les désinences morphologiques ne font pas illusion. Ce « roi » dont « nos rêves sont morts à sa table » est portraituré en ces termes : de « grands airs », une « langue vénéneuse », « le regard méprisant », le « ventre obèse » et un ensemble corporel « si affreux ». Le « roi », dans sa majesté a tous les atours d’un horrible et dangereux monstre fabuleux, ogre insatiable, mangeur de rêves de jeunesse et échoué sur une terre de paix, et qui tyrannise un peuple à souhait. D’autant que le peuple peut craindre « l’effet coupeur de langues » de ses « billets qui puent le sang ». Outre le fait qu’il inspire une certaine répugnance au peuple, le roi, à la manière d’un chef de gang, s’entoure d’une « joyeuse canaille » et prospère dans la production de déjections et exhalaisons infestées : « chiures, pestilences, souillures » ; rendant ainsi « l’oxygène impur de ses relents ». Un tel portrait induit le poète à refuser toute allégeance au monstre politique : « Pardonnez-moi de ne pas me délecter de vos chiures » puis d’inviter le peuple à un acte incivique et insurrectionnel. Telle une sentence, il prononce : « Dites au roi d’aller au diable / De grâce criez-le-lui bien fort / Et pissez chaudement sur son corps / Avant qu’il n’aille au diable » : le crime de lèse-majesté symbolique. À la violence proposée par le pouvoir politique, le poète propose une riposte incivique. Mais cette révolte ne peut survenir qu’à la condition d’une fraternité agissante.

                Voici donc quatre poètes qu’on peut allègrement suivre tant et si bien qu’ils honorent la littérature gabonaise. Dire cela n’est ni une proclamation chauvine encore moins l’expression d’une satisfaction établie. Leur jeunesse, leur entrain, leur culture littéraire invitent à croire qu’ils ont encore tant de sillons à tracer à travers un affinement du style, un renouvellement des thématiques et l’exploration d’autres registres de la modernité littéraire. On aura vite fait de qualifier ces auteurs en de termes laudateurs ou stéréotypés : poètes engagés ? Poésie de la révolte ? J’y vois des poètes qui composent avec une dualité : l’indignation d’une part et les nobles espérances d’autre part. De cette dualité doit éclore un homme neuf et la liberté qui va avec.

Il m’aurait été possible d’évoquer la poètes et slameurs Naëlle Nanda et Larry Essouma ou encore Max Axel Bounda ; tout comme il m’aurait été utile d’évoquer notamment les pionniers de la poésie gabonaise. Mais ceci est une autre histoire.

BOUNGUILI Le Presque Grand, poète

Biographie 

Bounguili Le Presque est un poète et enseignant gabono-canadien vivant au Canada. Il est l’auteur d’un premier recueil dédié à Port-Gentil et logiquement intitulé Portgentillaises (2016). Aux côtés de huit autres écrivains gabonais, il a coordonné et coécrit le recueil de poésie Souffle équatorial paru en mars 2019. Bounguili Le Presque Grand milite pour un véritable éveil des consciences gabonaises par la vulgarisation des arts.



Extrait de Souffle équatorial, Dacres, 2019



Danse après l’éclipse

Passé le temps des prélassements accablants
Des discours et des chèques en blanc
Passé le temps des haines de soi, des déraisons
Et des gratuites vilipendaisons
Passé le temps des villégiatures d’absinthe
Et des mois où l’alcool suinte

Les ténèbres ne furent que le temps d’une éclipse
Les ténèbres ne durent que le temps d’un vidéo clip
Le pagne noir sur nos armoiries s’effiloche
Le pagne noir sur notre justice est bien trop moche

Allons dire au soleil que nous avons fait son lit du fleuve
Il peut revenir s’y mirer et avec lui l’or et les étoiles
Notre terre est prête à l’accueillir tel l’intérieur utérin de la montagne en rut
Prête à enfanter non plus des souris dans nos champs d’arachides

Au-dessus de nos têtes allons laver le ciel de ces flétrissures
Pour que le soleil en fasse à nouveau sa demeure
Loin de ces odeurs rances de fiel et de frelatées fritures
Répandues par les faces livides et leur politique de peur

Oyez donc ceci

Je vous apporte des rumeurs du soleil
Cette fois il ne m’a pas brûlé
Il s’est copieusement confié
Jurant que le demain qui nous attend n’a pas son pareil
L’astre exilé demande qu’on prépare son retour de vacances
Que commencent les roulements de tambour au gré des cadences
Des cœurs pour que commence la danse
Quoi de mieux qu’une rythmique thérapie par la transe
[…]

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