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20 novembre 2023

Chronique littéraire : Triste tigre de Neige Sinno (POL). Prix Femina 2023.


Présentation de l'éditeur
J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.

Notre chronique
Cette œuvre, jonglant entre l'autobiographie, l'analyse littéraire, l'exploration de sentiments personnels et l'essai sur le thème délicat du viol, représente un véritable exploit. 
Pour exemple, au sujet de Lolita de Nabokov : 
Le lecteur que projette le texte de Nabokov est considéré comme un être intelligent, capable de faire preuve de discernement et de se retourner contre un narrateur abject sans tomber dans le piège de la compassion. C’est ce qu’on appelle en critique littéraire un tour de force, une prouesse technique qui fait que l’auteur parvient, si ce n’est à condamner le crime , du moins à montrer son atrocité, à travers le discours d’un narrateur qui semble en faire l’apologie.
Malgré la difficulté du sujet, nous, qui avons la chance de n'avoir pas été confronté(e)s à de telles horreurs, avons l'opportunité de mieux comprendre, du moins partiellement, cette réalité. 
Le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser.
Chacun de nous a sa propre perception, souvent influencée par des lectures et des films, et ce texte m'a incitée à remettre en question ces visions préconçues. Des idées communément acceptées, telles que "parler ou écrire permet de se reconstruire", semblent évidentes, mais l'auteure les démystifie de manière convaincante et claire.
Comme si, en s’en sortant, en passant à autre chose, on cessait d’être victime.
J'ai apprécié tant le fond que la forme de l'ouvrage. La structure narrative, souvent désordonnée, ponctuée de nombreuses digressions apparentes, souligne judicieusement le fond en délivrant des informations petit à petit. Une forme résolument hybride qui raconte l'indicible, une sidération partagée entre l'auteure et le lecteur, révélant une vérité cachée pour ne pas blesser, terrasser les proches, mais qui finit heureusement par éclater afin de protéger la fratrie et d'autres jeunes susceptibles d'être attaqués par le monstre.

Pour conclure :
Cet ouvrage puissant nous permet, si possible, de comprendre cette horreur sous toutes ses facettes.
Pourtant il me semble que l’autobiographie n’est ici qu’une arme de plus pour affronter l’impensable, un couteau pour disséquer le monde, un choix politique et esthétique, qui affirme l’union du contenu et de la forme.
Apprendre à rester sur le seuil du monde, voilà le défi, marcher comme des funambules sur le fil de nos destinées. Trébucher mais, encore une fois, ne pas tomber. Ne pas tomber. Ne pas tomber.

 

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Gabriel et Marie-Hélène.