Comment articulez-vous votre geste artistique avec la poésie des
haïkus ?
Le processus créatif est complexe. Par contre la démarche qui consiste, après le choix d’un haïku sélectionné pour son thème, son atmosphère ou sa musique, à le lire en silence puis plusieurs fois à voix haute fait apparaître une image qui s’impose d’emblée ou plusieurs images dont une s’imposera pour des raisons de correspondance esthétique.
Quelles ont été, pour vous, les micro-saisons les plus difficiles à représenter visuellement, et pour quelles raisons ?
Il n’y en a pas vraiment eu.
Soit le sujet suggère une ou plusieurs images soit je passe provisoirement ou définitivement. Je me fie à la spontanéité, en général, plus proche de la cohérence même si le contenu de l’image est différent, de prime abord, du sujet du haïku. C’est un style d’illustration appelé noizuke (un parfum de) en japonais que je choisis parce que plus favorable à la suggestion, principe fondamental de l’art japonais et bénéfique à la stimulation de l’imaginaire occidental.
La couleur surgit par touches dans vos planches. Comment décidez-vous du moment où elle devient nécessaire ?
Je dirais que c’est le métier. L’habitude de travailler tout en gardant à l’esprit la composition globale fait que la couleur (et son intensité) s’impose d’elle-même en raison de sa valeur graphique, de l’atmosphère qu’elle crée et donc de l’équilibre de la composition. N’oublions pas qu’équilibre et harmonie sont les maîtres-mots d’une œuvre considérée comme acceptable même au détriment, parfois, de la beauté des traits. Les critères de beauté d’une œuvre en Extrême-Orient ne sont pas superposables aux critères occidentaux.
Que vous inspire l’idée de lenteur, si centrale dans la culture japonaise ?
C’est une question intéressante. La notion de lenteur ou de rapidité a un rapport avec le temps bien évidemment. Or les Japonais n’ont pas, comme les Occidentaux, une notion linéaire du temps (passé, présent, futur), mais une notion circulaire du temps. Le fait de vivre intensément l’instant sans se préoccuper de la suite correspond à l’attitude de la personne qui prend plaisir à faire dans l’instant, et non à produire, sans se préoccuper du résultat pendant ce temps-là ; ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fera pas de son mieux bien au contraire. Au regard des Occidentaux cette attitude peut être considérée comme une forme de lenteur.
Votre livre donne le sentiment d’un voyage intérieur autant que géographique. Comment avez-vous travaillé cette dimension introspective ?
Je ne pense pas l’avoir travaillée. Au fur et à mesure de mes séjours au Japon, une relation de plus en plus étroite avec l’environnement, où qu’il soit, s’est créée et imposée comme faisant partie intégrante de ma vie quotidienne. Ce lien, aujourd’hui très fort avec l’environnement en Occident comme au Japon est devenu naturel. Toutes les situations que j’ai pu vivre au Japon, pendant des dizaines d’années, bien qu’inattendues, me sont apparues comme allant de soi.
Les haïkus occupent une place importante dans Nuages & Sources. Comment avez-vous sélectionné ceux de Sekitei et de Yosa Buson, par exemple, et qu’attendez-vous d’un haïku lorsqu’il dialogue avec une image ?
Le haïku est une forme de poésie, sans prétention, qui possède un très fort pouvoir de suggestion. Semblable en cela au style d’illustration nioizuke que je pratique, il m’est apparu judicieux d’en choisir un certain nombre qu’ils soient de poètes japonais des siècles passés comme de poètes contemporains, connus ou moins connus. Je les ai positionnés dans le texte chaque fois que l’image ou les images qu’ils véhiculaient venaient en appui du passage du texte ; un peu comme des points d’orgue, comme des images d’album, dans une totale cohérence. Ne dit-on pas que l’écriture de haïkus est le meilleur baromètre de la sensibilité japonaise ?
Votre esthétique évoque parfois les estampes japonaises, mais aussi une forme d’ascèse contemporaine. Quels artistes ou courants nourrissent particulièrement votre travail ?
Qu’il y ait eu, dans mon travail, des influences de grands maîtres japonais rencontrés dans les expositions et dans les livres, c’est incontestable. Leur fréquentation est la meilleure, sinon la seule façon, d’apprendre ; et c’est vrai pour tous les artistes, mais ces influences, chez moi, restent inconscientes, d’où la difficulté de les nommer. Je fais ce que j’ai envie de faire, comme j’ai envie de le faire, sans tenir compte d’une quelconque école, d’une quelconque audience. Même les maîtres avec lesquels j’ai eu le bonheur et le plaisir de travailler pendant des dizaines d’années ont eu la délicatesse de m’enseigner les techniques, l’esprit de la calligraphie ou du sumi-e sans jamais me demander ou même me suggérer tels ou tels sujets, sans intervenir sur le style tout en ne cessant pas d’approuver et d’encourager mon travail.
Comment abordez-vous, concrètement, le lien entre calligraphie et paysage ? Le trait est-il pour vous un chemin, une improvisation, une recherche de souffle ?
Calligraphie japonaise et peinture sumi-e sont deux pratiques qui partagent les mêmes outils, le même esprit, la même philosophie. Calligraphier consiste à tracer des traits de kanji (caractères d’écriture d’origine chinoise), figures frisant parfois l’abstraction surtout dans le bokusho (traces de l’encre) qui fait fi des valeurs sémantiques des caractères pour ne garder que la beauté graphique de l’encre. Le sumi-e (peinture à l’encre monochrome) au contraire consiste à tracer des traits représentant un ou des sujets concrets. Mais l’un comme l’autre demandent la même totale disponibilité d’esprit, c’est-à-dire faire pour le plaisir de faire dans l’instant, le même investissement mental. Calligraphie et sumi-e sont une seule et même voie spirituelle, une sorte de méditation.
Le mot de la fin ?
Merci à ces trois Maîtres qui ont toujours eu la patience, la générosité, la courtoisie de me faire bénéficier, au fil des ans, de leur enseignement de la calligraphie, du sumi-e et de l’art du thé, mais aussi de m’avoir initiée à une culture japonaise traditionnelle tellement surprenante de délicatesse pour une Occidentale. Je n’oublie pas les guides précieux qu’ils ont été dans la découverte de trésors paysagers d’un Japon peu connu des visiteurs étrangers. Merci à eux pour la personne et l’artiste que je suis devenue. Merci à eux de m’avoir permis d’écrire ce livre.
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