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13 septembre 2022

Chronique littéraire : Comment font les gens ? d'Olivia de Lamberterie (Stock)

Résumé

«  Elle trouve refuge dans une petite grotte érigée au fil des décennies avec des mots, des images et des chansons, l’art, un bien grand mot, la beauté des choses qui la bouleverse lui sert de kaleidoscope pour observer les jours et les gens. Ainsi le quotidien paraît moins féroce aux yeux de cette sentimentale désenchantée.  »

Anna, la narratrice de ce roman aux allures de  Mrs Dalloway  contemporain, est éditrice sous les ordres d’une dictatrice, se débrouille comme elle peut avec la vie, c’est-à-dire plutôt mal. Elle résiste. Elle endigue. Elle encaisse. Elle se souvient, surtout.

Coincée entre une mère féministe  mais atteinte d’une forme de joyeuse démence, trois filles à l'adolescence woke, un mari au sourire fuyant et à la tenue fluo, un cordon sanitaire d’amies qui sonnent le tocsin des SMS et des apéros SOS «  burn out  », Anna pourrait crier, comme on joue, comme on pleure, « Arrêtez tout  !  », mais ça ne marche qu’au cinéma. Comment font les gens ? Pourquoi ne remarquent-ils pas les «  pigeons dégueulasses aux ventres de pamplemousse  » ou la mélancolie fêlée d’une voisine de comptoir  ? Il y a du Virginia Woolf déjanté dans ce roman de la charge mentale, mais il y a aussi du Françoise Sagan  : chaque phrase vise juste, replie le présent déceptif sur le passé enchanté. 

Chaque phrase accueille au creux du confort d’une vie d’apparence bourgeoise les secrets de l’enfant caché, blessé, cajolé parfois, que fut Anna, car chaque adulte est cousu d’enfant. Il veut ce que nous voulons tous  : l’amour. 


Notre chronique

Un second ouvrage (roman) bien différent d’Avec toutes mes sympathies (essai) que j’avais également adoré. Une question que l’on se pose souvent, mais comment font les gens ? En effet, crise climatique, terrorisme, faim dans le monde, guerres, nouvelles toujours plus démoralisantes et terrifiantes, tout cela n’est pas vraiment enchanteur… Sans parler du rythme harassant d’une journée type, pleine d’injonctions et d’obligations toujours plus pressantes. Anna tient bon, vaille que vaille, mais le jour où la forteresse de son couple est ébranlée, tout pourrait bien vaciller pour elle qui est déjà en équilibre instable et en dépassement d’énergie permanent...

« Cette angoisse intermittente : est-ce que tout cela en vaut la peine ? »

Comment faire pour continuer de vivre plus ou moins sereinement, pour s’épanouir dans son couple, dans sa profession, en famille tout simplement ? 

« Anna, sa seule certitude, c’est Peter. Alors ce “rien” sème le désastre, mine cet abri du monde qu’elle a mis tant d’énergie à construire. Partout, tout le temps, un truc la hèle, qu’elle ne sait pas nommer, mais qui voudrait la mettre à terre et la faire rouler dans la cendre et elle doit s’en protéger comme d’une bête sauvage. Comme s’il était dangereux de vivre. Et ce couple lui semble un rempart lumineux, une façon de vivre à l’abri de la mêlée. »

Ce roman nous livre les sensations, les réflexions d’une autre Mrs Dalloway qui, comme la protagoniste éponyme de ce roman de Virginia Woolf, doit préparer pas tout à fait une « party », mais une réunion de famille qui pourrait se transformer en « party » selon la nouvelle que la principale invitée, la fille aînée d’Anna, va partager avec sa famille. 

« Ce qu’elle voudrait, c’est leur donner la force de lutter contre l’injustice et les médiocres, la générosité, en faire des chics filles, pas des chiens savants, Byzance elle le laisse aux professeurs. »

Nous vivons donc, comme dans le roman de Virginia Woolf, une journée dans la vie, dans les pensées d’Anna et nous assistons alors à son dédoublement : le personnage social extérieur qui assure et répond aux attentes, et celui, intime, intense, qui doute et avoue sa détresse et sa lassitude.

Et elles entraînent, pour nous lecteurs, une réflexion sur la vieillesse (car Anna est prise entre deux feux : ses adolescentes, forcément rebelles, et sa mère qui a la maladie d’Alzheimer), la ménopause, les livres et la littérature, la fuite en avant, le monde tel qu’il est, avec ce qu’il a de terrifiant, le couple, les tromperies, l’amour, la famille, l’amitié, l’entraide… et bien d’autres sujets qui nous concernent toutes. Et tous. Et l’on se prend à souhaiter qu’une meilleure place faite aux hommes pour que les fardeaux soient partagés et des solutions trouvées. Dans un style délibérément léger, à l’humour assumé pour ne pas alourdir des sujets déjà graves, un texte au rythme trépidant, haletant qui traduit celui de la journée d’une femme surmenée. D’autres titres nous viennent à l’esprit, « La femme qui court » ou « Chroniques d’une charge mentale ordinaire » ...

« Anna est discrète, incertaine, ambitions nébuleuses et tempérament marécageux, une femme sans bruit, mais elle est forte de cette mère-là. Sa douloureuse merveille. »

Ce portrait d’une héroïne du quotidien, essayant de faire au mieux et dévouée à mère, filles, conjoint, nous ressemble et vous touchera à coup sûr. 

D’ailleurs « les gens » ce ne sont pas « les autres », c’est elle aussi, c’est vous, nous, tout le monde, qui, coûte que coûte, nous efforçons d’avancer vers un futur toujours plus incertain en préservant tout ce qui nous apporte encore joie et bien-être. 

Un roman magnifique, émouvant, superbement écrit, que je recommande sans hésiter.

#Commentfontlesgens #NetGalleyFrance


Pour aller plus loin

Avec toutes mes sympathies

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