J’avais beaucoup entendu parler de Petit Pays (que j’ai bien
l’intention de lire) et je n’ai pas été déçue. Quelle écriture, quel récit !
Des thématiques fondamentales pour un pays en reconstruction : le devoir
de mémoire, la réconciliation, la tentation de la vengeance (et le cercle
vicieux), les tentatives d’oubli et le déni…
Ce roman mêle l’amour d’un pays, de sa nature, l’enfer du
génocide, ses racines et les difficultés de la réconciliation.
Jacaranda est un récit ancré dans l’histoire douloureuse du
Rwanda, une fresque familiale étendue sur quatre générations.
« L’hôpital est un bateau de nuit qui recueille l’humanité du fond du gouffre, les grands brûlés de l’effort de reconstruction, les éreintés des pressions familiales, les épuisés des conventions sociales, les déserteurs de la grande comédie humaine. Mais il abrite surtout ces ombres engourdies qui s’excusent d’être encore, ces âmes errantes qui vivent dans des contrées sans lumières, coquilles humaines pleines de tourments et de cauchemars impossibles à guérir. »
Gaël Faye, avec une pudeur remarquable, tisse l’histoire
intime de Milan et de Stella, deux jeunes gens à la recherche de leurs racines
et de la vérité, et la relie à l’horreur collective du génocide des Tutsi de
1994. Sous l’ombre du jacaranda, l’arbre emblématique de Stella, se cachent des
secrets aussi vastes que les cicatrices laissées par l’Histoire.
L’histoire de Milan, narrateur, reflète les questionnements
identitaires qui frappent souvent les enfants de la diaspora. Fils d’un
banquier français et d’une modiste rwandaise, il grandit dans le confort de
Versailles et ignore absolument tout de l’histoire de sa mère Venancia et de
ses origines.
« Là-bas, j’étais plongé dans un monde de douleur inouïe et de violence extrême qui me donnaient le vertige. J’avais grandi dans un pays en paix, protégé de toute part, ignorant la brutalité du monde, excepté celle qui arrivait par la télévision. »
Son silence, son mutisme lourd de non-dits, l’auraient sans
doute poursuivi indéfiniment si un événement déclencheur ne l’avait poussé à
enquêter. L’arrivée de Claude, ce mystérieux neveu, blessé et marqué par le
Rwanda, chamboule le quotidien de Milan. Son départ précipité laisse un vide
que Milan tente de combler en se lançant dans la quête de ses racines.
Gaël Faye nous offre une plongée dans ce pays où les
blessures de l’âme ne se referment pas, où chaque citoyen porte en lui la
mémoire d’un passé déchirant. Le Rwanda, c’est cette terre meurtrie par
l’horreur et une terre qui se reconstruit lentement, pas à pas, avec des
efforts incommensurables de réconciliation. À travers la voix de Stella, le
lecteur découvre le poids du trauma transgénérationnel. Chaque famille a ses
fantômes, chaque silence cache une souffrance indicible. Pourtant, à travers
ces récits entrecroisés, un espoir persiste. Celui que la lumière peut encore
percer à travers les branches du jacaranda, cet arbre qui symbolise à la fois
la beauté et la résilience.
Claude, Eusébie et Venancia incarnent chacun, chacune une
facette du Rwanda post-génocide : Claude, l’enfant rescapé, porteur d’une
douleur que l’on devine derrière ses silences ; Eusébie, la mère de Stella,
puissante figure de réconciliation, qui porte en elle les espoirs d’un avenir
apaisé. Et Venancia dont le silence sur son passé raconte peut-être plus que
des mots ne pourraient le faire. Elle est le symbole de tant de mères, figées
dans un mutisme protecteur, effrayées à l’idée de revivre, même en paroles, les
horreurs qu’elles ont traversées. Jacaranda est une réflexion sur la mémoire,
sur ce que l’on transmet et ce que l’on tait.
« J’avais envie de m’enfuir, de quitter cette terre de mort et de désolation. Après tout, je n’appartenais pas à ce monde, ma mère m’avait mis en garde, je ne l’avais pas écoutée. J’aurais voulu l’appeler, m’excuser de n’en avoir fait qu’à ma tête et la remercier d’avoir essayé de me protéger de cette histoire dont elle connaissait le hideux visage.
Cette idée me traversait, puis je pensais aussitôt à Claude, à Eusébie, à Stella, et quelque chose se fissurait en moi qui laissait passer un soleil insensé, la possibilité, malgré tout, de la vie et de la beauté. »
Ce roman nous pose également des questions :
Comment comprendre l’inimaginable ?
Comment vivre avec ce poids ?
Gaël Faye nous le montre sans artifice, avec une humanité
profonde.
Un texte saisissant, à lire pour tenter de comprendre…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.