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22 septembre 2025

Chronique littéraire : Le curiste de Hermann Hesse (Calmann-Lévy).

Présentation de l'éditeur
Y'a-t-il un meilleur observatoire de la nature humaine que la promiscuité d'une cure à Baden-Baden ? Hesse y observe avec tendresse et philosophie la succession de scènes étranges et amusantes, de tableaux tour à tour comiques et tragiques. Ce regard d'entomologiste confère à la peinture du microcosme balnéaire une dimension universelle. Mais le récit de cette cure est en même temps un admirable portrait d'époque, comme le soulignait Thomas Mann : 
Dans cette génération littéraire qui a débuté avec moi, Hesse est celui qui m'est le plus proche et le plus cher. Il y a des écrits de lui et notamment Le curiste, que je lis et ressent comme "faisant partie de moi-même".

Notre chronique
Loin des tourments mystiques du Loup des steppes, ce récit intimiste nous plonge dans l’expérience d’une cure thermale à Baden-Baden. Un lieu propice au repos du corps et à l’observation minutieuse de l’âme humaine.
« (...) Pour les écrivains au tempérament nerveux comme pour toute la cohorte de ceux qui souffrent de sciatique, les jours de détresse alternent sans arrêt avec ceux où renaît l’espoir. Parfois, la douleur physique domine tout le reste, mais il arrive aussi que nous éprouvions une sorte de bien-être lorsque la journée semble s’écouler en douceur. Ainsi, suivant le stade de la cure et son déroulement, nous marchons d’un pas léger, ou nous avançons à une allure misérable et restons au lit. » Page 45.
Derrière une apparente légèreté – celle des conversations oisives, des préoccupations sanitaires et des figures cocasses croisées dans les couloirs – Hermann Hesse tisse un récit d’une profondeur saisissante. 
Car cette retraite médicale se transforme très vite (pour notre plus grand bonheur) en laboratoire d’étude du genre humain, au sein duquel les vanités, les solitudes et les illusions se révèlent sous le regard tantôt amusé, tantôt impitoyable du narrateur.
« D’un autre côté, il se peut aussi que les hommes soient sceptiques et profondément convaincus de l’inutilité de leurs efforts, mais qu’ils préfèrent agir, tendre vers un but, décider et se torturer l’esprit, plutôt que de rester figés dans une passivité pleine de résignation. » Page 32.
Le style, fluide et affûté, oscille entre ironie mordante et sagesse contemplative. 
L’auteur dissèque, analyse, parfois raille, et nous dévoile ses doutes et désillusions.
On pourrait rapprocher cette œuvre des Lettres à un jeune poète de Rilke, dans cette manière qu’a Hesse de s’interroger sur le rôle de l’écrivain, sa solitude et son éternelle quête d’authenticité.
« Le lecteur se moquera sans doute, mais pour nous, hommes de lettres, écrire représente toujours une aventure formidable et excitante, un voyage en haute mer à bord d’un minuscule canot, un vol solitaire à travers l’univers. On cherche un mot spécifique et on en retient un parmi les trois qui s’offrent à nous, tout en gardant l’intégralité de la phrase présente à l’esprit et à l’oreille ; on façonne la syntaxe, on réalise la construction choisie et on fixe les boulons de l’édifice en s’arrangeant de façon mystérieuse pour que le style, les proportions du chapitre et de l’ouvrage dans sa totalité soient respectés. Voilà ce que j’appelle une activité exaltante ! » Page 100. 
Le Curiste est un traité de philosophie déguisé, une œuvre dans laquelle l’anodin côtoie l’universel. 
« J’aimerais tant trouver le moyen d’exprimer la dualité du monde ; je voudrais écrire des chapitres et des phrases où chant et contre-chant seraient toujours simultanément perceptibles, ou l’unité côtoierait la diversité, ou le rire irait de pair avec la gravité. La vie n’est en effet rien d’autre qu’une oscillation entre deux pôles, un va-et-vient entre deux piliers du monde. J’aimerais sans arrêt attirer avec enthousiasme l’attention du lecteur sur la multiplicité joyeuse que représente notre univers et lui rappeler aussi sans cesse que cette diversité est fondée sur une unité. Je voudrais montrer que la beauté et la laideur, la clarté et l’obscurité, le péché et la sainteté ne s’opposent que passagèrement, qu’ils finissent toujours par se rejoindre. Les vérités humaines les plus sacrées sont celles qui réussissent de façon magique à exprimer cette dualité ; ce sont ces quelques proverbes et ces allégories mystérieuses où le sage reconnaît le caractère à la fois nécessaire et illusoire des grandes oppositions. Les pensées du Chinois Lao-tseu semblent parfois rapprocher le temps d’un éclair les deux pôles de l’existence humaine. » Page 193.
Moins connu que ses autres chefs-d’œuvre, ce texte mérite pourtant une attention particulière, car il illustre avec finesse et intelligence le regard que portait Hesse sur son époque… et sur lui-même. 
« (...) l’écriture fait à la fois intervenir la passion, le sérieux et la vanité. Comme tous les autres artistes, l’écrivain tente de réaliser l’impossible, c’est pourquoi le résultat auquel il aboutit ne correspond jamais à ce qu’il désirait au départ. » Page 200. 
Un ouvrage que nous recommandons sans hésiter ! 

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Gabriel et Marie-Hélène.