« Elle est entrée comme une ombre. Elle a glissé et s’est fichée dans mon œil, entre mes paupières que la poussière a refermées. »
Elle, c’est Maud Gonne, la muse de l’écrivain William Butler Yeats. Enterré en France en 1939 dans le cimetière de Roquebrune-Cap-Martin pour être rendu à l’Irlande une décennie plus tard, le voilà qui revient sous les traits d’un fantôme. Il sort de sa tombe pour raconter son amour contrarié avec Maud, histoire qui se confond avec celle de l’indépendance de l’Irlande, dont ils ont été tous deux des acteurs emblématiques.
Si le fantôme s’est brusquement réveillé, c’est parce que des documents diplomatiques longtemps tenus secrets ont refait surface, jetant le doute sur le contenu du cercueil rapporté au pays pour des funérailles nationales. Où est donc passé le corps du poète ? Plane-t-il encore, comme il l’a écrit, « quelque part au-dessus des nuages » ? Que reste-t-il de nos amours et de nos morts, si ce n’est leur poésie ?
Notre chronique
Professeure d’anglais et de littérature en section américaine pendant cinq ans, la quatrième de couverture m’a immédiatement séduite. La littérature irlandaise est l’une de mes littératures préférées et Yeats ne peut qu’émouvoir.
J’ai été immédiatement happée par ce roman superbement écrit qui mêle la voix de William Butler Yeats à celle de Madeleine. Deux narrations qui se répondent, qui se complètent, qui nous questionnent. Deux poursuites : celle de l’Amour (« unrequited love » en ce qui concerne William) et de la poésie (ne pas perdre l’inspiration) dans le contexte de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande, celle de la quête de soi, de la recherche de ses origines, de son histoire. Les deux vont très vite entrer en collision puisque Madeleine décide de se battre pour les restes des morts de la fosse publique de Roquebrune-Cap-Martin qui ont probablement voyagé en Irlande et, peut-être, accompagné ceux de Yeats dans sa dernière demeure.
Madeleine (l’archétype de la pleureuse au pied du Christ) est la figure de proue de cette épopée étonnante, et nous entraîne dans son enquête (en quête) pour laquelle elle regroupe des familles qui, comme elle, se demandent où sont réellement leurs chers disparus... Son récit est construit comme un roman policier, car, avec ce groupe qui la soutient (Les Dispersés), elle étudie les documents, fouille, réclame, consulte les spécialistes de la mort (pompes funèbres, fossoyeurs, gardiens de cimetières) aux réponses placides et pragmatiques... pour tenter de comprendre l’incompréhensible.
Comment Yeats, Prix Nobel de Littérature, a-t-il fini dans une fosse commune ? Quels ossements ont été rendus à l’Irlande dix ans plus tard ? Où sont les dépouilles des proches des Dispersés ?
On pense à Antigone et sa détermination à offrir une sépulture décente à son frère proscrit, à Isis reconstituant patiemment le cadavre coupé en morceaux de son bien-aimé époux Osiris, on pense à l’importance des reliques sacrées, aux incroyables aventures post-mortem de certains défunts, anonymes ou célèbres (Molière, La Fontaine encore récemment : où sont-ils ?), à celle d’avoir retrouvé le corps, même s’il n’y a plus que les os, pour pouvoir commencer à faire son deuil (combien de parents, d’amis, attendent encore…), honorer, se recueillir. On pense au soulagement des cérémonies, même longtemps après, pour rendre dignité et hommage aux « mal-ensevelis » qui risquent de ne pas trouver le repos, ce qui ne laisse pas non plus les vivants en paix.
Un ouvrage poétique et onirique, dans lequel les rêves, les pressentiments, jouent un rôle essentiel. Une réflexion également sur la mort, sur l’influence des âmes qui nous ont quittés, sur l’après…
Rien de morbide dans ce livre superbe – qui finalement nous concerne tous -, bien au contraire. L’ombre éthérée du grand poète (lui-même féru d’occultisme) plane, évanescente et douce comme son œuvre, et si des doutes subsistent sur l’emplacement de ses restes mortels, nous retrouvons à notre gré sa poésie bien tangible... et immortelle. Amours et cendres peuvent bien être dispersées, ses poèmes restent à jamais dans nos mémoires et notre cœur.
Pour aller plus loin
A DREAM OF A BLESSED SPIRIT
All the heavy days are over;
Leave the body's coloured pride
Underneath the grass and clover,
With the feet laid side by side.
One with her are mirth and duty,
Bear the gold embroidered dress,
For she needs not her sad beauty,
To the scented oaken press.
Hers the kiss of Mother Mary,
The long hair is on her face;
Still she goes with footsteps wary,
Full of earth's old timid grace.
With white feet of angels seven
Her white feet go glimmering
And above the deep of heaven,
Flame on flame and wing on wing.
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Gabriel et Marie-Hélène.