02 mai 2022

Chronique littéraire : L'œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar (Gallimard).

Résumé de l'éditeur 
En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l'auteur de Mémoires d'Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d'un homme extraordinaire. C'est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité ; un monde contrasté où s'affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison même finira par le broyer. 


Notre chronique
Lecture et relecture de chefs d’œuvre !
L’œuvre au noir, de par sa profondeur, de par ses thématiques, nous plonge dans le cœur des hommes et revisite l’Histoire, l’intolérance, et la quête mystique, plus forte que tout.
« Un jour, Dieu effacera du cœur des hommes toutes les lois qui ne sont pas d’amour. »
Un protagoniste multiplement stigmatisé, puisque né en dehors des lois du mariage, puisqu’alchimiste, puisque médecin d’avant-garde, puisqu’athée… à une période où il ne faisait pas bon vivre en dehors du dogme érigé en Vérité Suprême… en outre pendant les guerres de religion…
« Il aimait cette chambre tapissée de volumes, cette plume d’oie, cet encrier de corne, outils d’une connaissance nouvelle, et l’enrichissement qui consiste à apprendre que le rubis vient de l’Inde, que le soufre se marie au mercure, et que la fleur qu’on nomme lilium en latin s’appelle en grec krinon et en hébreu susannah. Il s’aperçut ensuite que les livres divaguent et mentent comme les hommes, et que les prolixes explications du chanoine portaient souvent sur des faits qui, n’étant pas, n’avaient pas besoin d’être expliqués.
Ses fréquentations inquiétaient : ses compagnons favoris de ce temps-là étaient le barbier Jean Myers, habile homme, sans pareil pour la saignée et la taille de la pierre, mais qu’on soupçonnait de disséquer les morts, et un certain tisserand nommé Colas Gheel, ribaud et hâbleur, avec qui des heures, mieux employées à l’étude et à la prière, se passaient à combiner des poulies et des manivelles. »
Tout cela n’empêchera pas Zénon de s’affirmer, d’écrire des essais particulièrement dangereux pour lui, d’être en quête alchimique -- qui, pour l’être humain, tend à dissoudre l’ego et la personnalité propre pour accéder à son « or » intérieur : l’âme, les forces universelles, et même l’esprit divin -- toute sa vie durant et de ne jamais renoncer à ce en quoi il croyait.
« On n’est bien que libre, et cacher ses opinions est encore plus gênant que de couvrir sa peau. »
Médecin, il soignera les plus grands comme les plus pauvres, voire parfois les maudits (vu leurs croyances).
« Chaque nuit passée au chevet d’un quidam malade me replaçait en face de questions laissées sans réponse : la douleur et ses fins, la bénignité de la nature ou son indifférence, et si l’âme survit au naufrage du corps. »
« A vingt ans, il s’était cru libéré des routines ou des préjugés qui paralysent nos actes et mettent à l’entendement des œillères, mais sa vie s’était passée ensuite à acquérir sou par sou cette liberté dont il avait cru d’emblée posséder la somme. »
Cherchant d’autres voies, de-ci, de-là, notre héros pourchassé, persécuté, ira jusqu’au bout de ses intuitions et convictions pendant une période particulièrement intolérante qui nous en rappelle de nombreuses et qui nous pousse à réfléchir, nous remettre en question, tout en savourant une écriture sublime. 
« Ce qui n’est pas comme eux leur paraît contre eux, dit amèrement Zénon. »
« C’était une de ces époques où la raison humaine se trouve prise dans un cercle de flammes. »
Qui fait profondément écho à celle que nous vivons actuellement, écartelée entre la tentation d’un nouvel obscurantisme et des progrès technologiques dont nous ne mesurons pas la portée, qui souvent nous dépassent.
En rendant hommage à travers son personnage à des précurseurs tels Paracelse, Léonard de Vinci – et bien d’autres – l’auteure nous incite à méditer sur l’apport de ces esprits curieux, courageux, non — conformistes – et non conformes – qui ont payé très cher, parfois de leur vie, leur liberté de penser et de concevoir le monde autrement. Qui se sont brûlés à approcher une autre vérité, dissidente, dans un environnement borné, mesquin, cruel et ignorant. Et terriblement arrogant.
D’une grande actualité, comme toutes les œuvres de Marguerite Yourcenar.



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Gabriel et Marie-Hélène.