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25 avril 2022

Chronique littéraire : Les enfants sont rois de Delphine de Vigan (Gallimard).

Résumé de l'éditeur
"La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s'étonna de l'autorité qui émanait d'une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l'obscurité. “ On dirait une enfant ”, pensa la première, “elle ressemble à une poupée”, songea la seconde.Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire."
À travers l'histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d'une époque où l'on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s'expose et se vend, jusqu'au bonheur familial.


LA PRESSE EN PARLE

Les enfants sont rois, tableau puissant, âpre et agissant de notre société, réflexion sur les réseaux sociaux et le renoncement à l’intimité, sur l’enfance et les atteintes qui lui sont faites. Nathalie Crom, Télérama.

Dans son nouveau roman, l’écrivaine ausculte les conséquences de la télé-réalité sur la vie familiale. […] C’est un roman qui parle autant des enfants que l’on exhibe que de celui que chacun cache à l’intérieur de lui. Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres.

Un roman fascinant, nécessaire, original par son côté policier, tout en aiguisant sa veine de fine observatrice de notre société. Son talent est là : Delphine de Vigan ne dénonce pas, elle ne juge pas, mais elle montre – et ça n’en est que plus frappant. Mohammed Aïssaoui, Le Figaro Littéraire.

Le dernier livre de Delphine de Vigan, à qui l’on doit Rien ne s’oppose à la nuit et Les loyautés, toujours attentive à son époque, toujours virtuose du suspens, l’écrivaine aborde les questions de l’intimité et des ravages de la télé-réalité, des chaînes YouTube, des comptes Instagram et autre TikTok où nous exposons nos vies. Agnès Soubiran, France Inter.


L'auteure

Delphine de Vigan a publié en 2001 Jours sans faim, son premier roman, sous pseudonyme. Elle est l'auteur des Jolis garçons, d'Un soir de décembre, de No et moi (prix des Libraires 2008) et des Heures souterraines. Jours sans faim apparaît aujourd'hui comme un chapitre en creux de Rien ne s'oppose à la nuit, immense succès de la rentrée 2011.


Notre chronique
Quelle ironie dans ce titre ! On s’attend à un livre sur l’éducation et la tyrannie exercée par nos chers petits quand nous laissons nos existences graviter autour de leurs caprices, or celle qui est montrée ici est tout l’inverse, et, loin d’être des rois, ils sont des pantins soumis à la recherche frénétique, désespérée, de notoriété de certains parents.
C’est le cas de Mélanie qui, « influenceuse » sur les réseaux sociaux (le terme même donne à penser), gagne confortablement sa vie en mettant en scène sa progéniture chaque jour. Ici pas de travail dans les champs ou à la mine pour subsister, pas de mariages forcés, pas de vente pour devenir domestique, pas d’esclavage ou de prostitution à proprement parler. Et pourtant, elle vend bel et bien son entourage (le père, dépassé, qui ne se rend pas compte des enjeux, laisse faire) et les violences exercées, même invisibles, sont réelles et destructrices à terme (devenus jeunes adultes, ses enfants seront marqués), c’est bien une forme d’exploitation – et de maltraitance à laquelle on n’aurait pas forcément songé – qui est à l’œuvre.
Pourtant cette mère qui nous horripile et nous désole dans sa quête éperdue de reconnaissance, de mise en lumière, d’appréciation – vénale, de surcroît –, nous touche, car on comprend que ce vide intérieur, qu’elle cherche à combler en développant l’extérieur de manière exagérée, procède aussi de son statut de victime, deux fois : d’un déficit d’amour familial (bien illustré par sa rivalité avec sa sœur), et des exigences du paraître, de plus en plus exacerbées, d’une société exhibitionniste et voyeuriste jusqu’à l’hystérie, mercantile jusqu’à l’abjection, dont l’auteure ne se prive pas de dresser un portrait au vitriol — souvent mérité.
Triste constat que cette vacuité existentielle, ces ego exaspérés, cette capacité, semble-t-il sans limites, de monnayer son intimité avec ou sans le « consentement » (notion toujours à reconsidérer) des principaux intéressés, et ce dès le plus jeune âge.

L’exact opposé de Mélanie (jusque dans les prénoms, n’oublions pas que Mélanie vient du « noir » grec), c’est Clara. Clara qui possède sa propre clarté, qui n’a pas besoin du feu des projecteurs pour se sentir exister pleinement, Clara la clairvoyante qui pressent bien où ces dérives peuvent mener, et veille. Clara qui a eu la chance de recevoir d’autres valeurs...

Autant dire que les parents de Clara, occupés le soir de la finale par une réunion du collectif sur le thème “Dans quelle société souhaitons-nous vivre ?” n’auraient pas apprécié que leur fille d’à peine quinze ans profite de leur absence pour se vautrer devant ce programme diabolique, symptôme patent d’un monde où tout était devenu marchandise, et régi par le culte de l’ego. » (Émission Loft Story).
Et qui, devenue adulte, n’est pas dupe.
Clara voyait bien ce qu’il voulait dire. La gaieté outrancière du ton, la multiplication des jeux stupides et parfois avilissants, l’adhésion sans réserve et sans discernement à la consommation ou à l’acte d’achat, la malbouffe accueillie avec extase, les mêmes phrases répétées jusqu’à la nausée, tout cela provoquait chez l’adulte qu’elle était un malaise confus.
Cette chance, Mélanie ne l’a pas eue, et elle puise dans un déficit d’amour sa soif de gloriole et aussi d’argent, la vénalité que nous évoquions étant souvent une peur de manquer, et une revanche sur ce manque.
Mais, comme l’alouette qui volette vers sa perte, les jolis papillons aux belles couleurs vont se brûler les ailes, ou, comme celui de la fable, finir attrapés et déchirés par des gens cruels — ou inconscients.
Et l’on comprend tout le glissement de sens d’exposer qui passe de disposer de façon à mettre en vue à  montrer, faire connaître, raconter,  puis soumettre à une influence jusqu’à risquer, mettre en danger. Cette mise en danger est une réalité, et désormais elle peut toucher n’importe qui. 
Nul besoin de créer, d’inventer pour avoir droit à son “quart d’heure de célébrité.” Il suffisait de se montrer et de rester dans le cadre ou face à l’objectif. 
Mais là où artistes, sportifs, personnalités connues, jouent au jeu – souvent très dur – de la célébrité en connaissance de cause et en acceptent tant bien que mal les inconvénients comme faisant partie de leurs choix de vie, l’individu lambda se hasarde, sous le regard (pas forcément bienveillant !) de milliers d’autres, en toute vulnérabilité.
Chacun était devenu l’administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci était devenue un élément indispensable à la réalisation de soi.
Quel leurre, qui peut être fatal. (dépression, estime de soi mise à mal, difficultés à accepter de retomber dans l’ombre, voire désespoir et gestes extrêmes).
Clara du moins fait preuve de discernement, et Delphine de Vigan avec elle, choisissant un sujet de société qui l’interpelle plutôt qu’un thème autobiographique.

Pour aller plus loin



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