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12 janvier 2022

Chronique littéraire : Ton absence n'est que ténèbres de Jón Kalman Stefánsson (Grasset).

Résumé
Un homme se retrouve dans une église, quelque part dans les fjords de l’ouest, sans savoir comment il est arrivé là, ni pourquoi. C’est comme s’il avait perdu tous ses repères. Quand il découvre l’inscription « Ton absence n’est que ténèbres » sur une tombe du cimetière du village, une femme se présentant comme la fille de la défunte lui propose de l’amener chez sa sœur qui tient le seul hôtel des environs. L’homme se rend alors compte qu’il n’est pas simplement perdu, mais amnésique : tout le monde semble le connaître, mais lui n’a aucun souvenir ni de Soley, la propriétaire de l’hôtel, ni de sa sœur Runa, ou encore d’Aldis, leur mère tant regrettée. Petit à petit, se déploient alors différents récits, comme pour lui rendre la mémoire perdue, en le plongeant dans la grande histoire de cette famille, du milieu du 19ème siècle jusqu’en 2020. Aldis, une fille de la ville revenue dans les fjords pour y avoir croisé le regard bleu d’Haraldur ; Pétur, un pasteur marié, écrivant des lettres au poète Hölderlin et amoureux d’une inconnue ; Asi, dont la vie est régie par un appétit sexuel indomptable ; Svana, qui doit abandonner son fils si elle veut sauver son mariage ; Jon, un père de famille aimant mais incapable de résister à l’alcool ; Pall et Elias qui n’ont pas le courage de vivre leur histoire d’amour au grand jour ; Eirikur, un musicien que même sa réussite ne sauve pas de la tristesse – voici quelques-uns des personnages qui traversent cette saga familiale hors normes. Les actes manqués, les fragilités et les renoncements dominent la vie de ces femmes et hommes autant que la quête du bonheur. Tous se retrouvent confrontés à la question de savoir comment aimer, et tous doivent faire des choix difficiles.

Ton absence n’est que ténèbres frappe par son ampleur, sa construction et son audace : le nombre de personnages, les époques enjambées, la puissance des sentiments, la violence des destins – tout semble superlatif dans ce nouveau roman de Jón Kalman Stefánsson. Les récits s’enchâssent les uns dans les autres, se perdent, se croisent ou se répondent, puis finissent par former une mosaïque romanesque extraordinaire, comme si l’auteur islandais avait voulu reconstituer la mémoire perdue non pas d’un personnage mais de l’humanité tout entière. Le résultat est d’une intensité incandescente.

Traduit de l'islandais par Éric Boury

L'auteur


Jón Kalman Stefánsson est un romancier, poète et traducteur islandais.

Il grandit à Reykjavík et à Keflavík. Après avoir fini ses études au collège en 1982, il travailla en Islande de l'ouest (dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie). Il entreprit ensuite des études en littérature à l'Université d'Islande de 1986 à 1991, mais sans les terminer. Pendant cette période, il donna des cours dans différentes écoles et rédigea des articles pour le journal Morgunblaðið.

De 1992 à 1995, il vécut à Copenhague, où il participa à divers travaux et s'adonna à une lecture assidue. Il rentra en Islande et s'occupa de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbær jusqu'en 2000.

Son premier roman paraît en 1997 en Islande, mais c’est avec la trilogie romanesque composée de "Entre ciel et terre" ("Himnaríki og helvíti", 2007), "La Tristesse des anges" ("Harmur englanna", 2009) et "Le Cœur de l’homme" ("Hjarta mannsins", 2011), qu’il s’impose dans le monde entier comme un écrivain de premier plan.

Il a reçu de nombreuses distinctions dans l’ensemble des pays où son œuvre est traduite. En France, son roman "D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds" ("Fiskarnir hafa enga fætur", 2013), prix Millepages, Meilleur livre étranger 2015 Lire, a été finaliste du prix Médicis étranger.

Notre chronique 
Un texte puissant, aux nombreuses ramifications, à l’aune de ce à quoi l’auteur nous a habitués ! Nous sommes immédiatement happés par ces histoires multiples qui traversent les générations, nous entraînent dans un questionnement philosophique sur le sens de la vie, l’amour, et tout ce qui nous rend humains.
« [...] comme si vivre et s’écarter de sa route n’étaient qu’une seule et même chose. »
Un roman déroutant, qui est tout sauf linéaire, un peu comme si la décomposition du temps soulignait la descente en enfer de certains personnages, leur descente dans les ténèbres due à l’absence de l’être aimé, à l’amnésie aussi.
Un roman qui a une dimension indéniablement sociologique, presque ethnologique, un roman qui nous plonge dans l’intimité des Islandais, nouant inconsciemment par leurs histoires intimes des liens profonds avec le reste de l’humanité, car le monde n’est qu’un, et la vie se répète à l’infini en de multiples couleurs, qui sont autant de sentiments, de violences et de frustrations, puissamment révélées par ce roman de l’amnésie, une amnésie qui révèle avec crudité la réalité torturée d’un peuple isolé aux confins du monde.   
« Le réel s’était évanoui et le monde changé en un puits de ténèbres. »
« Écrivez. Et nous n’oublierons pas. Écrivez. Et nous ne serons pas oubliés. Écrivez. Parce que la mort n’est qu’un simple synonyme de l’oubli. »
Une véritable épopée contemporaine et une galerie de personnages passionnants, tous témoins de la vie dans ce rude et magnifique pays qu’est l’Islande. L’amnésie de notre protagoniste nous offre une vue kaléidoscopique de son passé, et même de son présent, et nous permet de découvrir à travers ses souvenirs, ses perceptions, ses interactions, un monde dans lequel la mémoire (la sienne, celle de nos proches, de nos aïeux) est essentielle pour se (re) construire, comprendre qui l’on est réellement… 
« Celui qui sait tout ne peut pas écrire. Celui qui sait tout perd la faculté de vivre, parce que c’est le doute qui pousse l’être humain à aller de l’avant. Le doute, la peur, la solitude et le désir. Sans oublier le paradoxe. »
Un nouveau roman à lire et relire sans hésiter ! 
Concluons avec les mots de l’auteur :
« Le pire, et le plus effrayant, c’est de mourir si lentement qu’on s’en rend à peine compte. Voilà le drame, la tragédie. Vous êtes vaincus sans même avoir la possibilité de vous défendre. »
#Tonabsencenestqueténèbres #NetGalleyFrance

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