En Campanie, au 16e siècle, un frère et une sœur reçoivent les dernières paroles de leur mère à l’agonie. Femme soumise et discrète, elle était pourtant sereine, à défaut d’être heureuse, et quitte ce monde plus paisible encore, convaincue que l’au-delà existe et que « rien ne finit ». Son dernier souhait : que ces deux-là ne se haïssent jamais, eux qui vivent une passion interdite et irrépressible qu’elle a parfaitement devinée.
Mais, même si elle a, en quelque sorte, donné son approbation à leurs sentiments secrets, nos deux héros, Anna et Miguel, se sentent coupables – bien qu’impuissants face à ce qui les dévore et les dépasse – et n’ont de cesse que d’expier cette relation unanimement réprouvée, et qui deviendrait dangereuse si elle ne restait clandestine.
Miguel cherchera la rédemption à travers une mort de bravoure, consentie. Anna grâce à une vie entièrement vouée au souvenir des moments sublimes passés avec son seul véritable amour, jouant mécaniquement tous les rôles qui lui sont attribués : épouse, mère, amante, fille...
Fille ? Pas beaucoup, car le père a depuis longtemps abandonné à leur sort ses enfants solitaires (qui ont toujours dû s’appuyer l’un sur l’autre) ne comprenant pas la vérité et assailli par ses propres réflexions sur la vanité de tout, au cœur même d’un tourbillon d’obligations et de frénésie de débauche... désespérée ?
« Agenouillé près du chœur, don Alvare regardait fixement le haut catafalque ; sous cet empilement de tentures et d’emblèmes, la forme de la bière disparaissait ; dans l’esprit du gentilhomme, toutes sortes de visions passèrent, arides comme le sol d’une sierra, âpres comme un cilice, poignantes comme un Dies irae. Il regardait ces blasons, vanité des lignages, qui ne servent après tout qu’à rappeler à chaque famille le nombre de ses morts. »
« Le monde avec ses vanités et ses plaisirs, linceul de soie sur un squelette. »
« Dies irae », « poussière », les termes ne manquent pas pour évoquer notre « finitude » et l’intérêt de l’auteur pour le mystère de la mort, elle qui pense que « tout bâtisseur, à la longue, n’édifie qu’un effondrement ». Une autre façon de reprendre les termes de l’Ecclésiaste, car
« tout est vanité et poursuite du vent ».
En va-t-il de même pour la littérature ? Il y a ici beaucoup d’audace de la part d’un très jeune écrivain (Marguerite Yourcenar a 22 ans à l’époque) à vouloir traduire l’indicible de l’inceste, l’ultime transgression qui ne se formule pas (pas encore), et l’impossible élan fusionnel de deux êtres (quels qu’ils soient, d’ailleurs). Attirance qui s’explique aussi par la gémellité : très semblables, au point qu’on peut les confondre, c’est quand ils ne font qu’un que l’entité mi-homme mi-femme peut être complète. Là encore l’auteur nous dit beaucoup sur elle-même, déjà.
Un style très pur, dépouillé (comme débarrassé de tout superflu) sert à merveille cette recherche d’absolu, cette quête du pardon et du sens de l’existence, ce superbe parcours initiatique (également fréquent dans d’autres ouvrages).
D’une intense beauté littéraire et dramatique, un roman profondément humain, à découvrir ou relire.
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Gabriel et Marie-Hélène.