Résumé de l'éditeur
Tout commence aux confins de Tabelbala, une petite oasis isolée dans le nord-ouest du Sahara. Idriss mène paître son troupeau de chèvres et de moutons. Surgit une Land Rover avec un couple d'Européens. La femme saute à terre. A la main, elle tient son appareil de photo. Elle photographie le jeune musulman avec ses bêtes. "Donne-moi la photo !" Non, elle ne peut pas la lui donner tout de suite. Il faut faire développer et tirer le film à Paris. Mais elle note son nom. La photo, elle la lui enverra dès son retour. Et elle disparaît sans mesurer le trouble qu'elle vient d'apporter dans l'esprit du jeune garçon. Bien entendu, la photo n'arrive jamais. Et lorsque, deux ans plus tard, Idriss part pour la France, comme tant d'autres jeunes Maghrébins, c'est sans doute par atavisme de nomade et pour chercher du travail, mais c'est aussi pour retrouver sa photo, et avec elle la femme blonde aux jambes nues qui l'a emportée. Cette photo, cette femme, il ne va cesser de les rencontrer d'étape en étape. Mais, chaque fois, il en est blessé, et il descend un degré de plus dans la dérision et l'abjection. Jusqu'au jour où il trouve enfin l'antidote. Contre le pouvoir asservisseur de l'image, le signe abstrait libère et vivifie. Les clefs de sa prison miroitante lui seront données par un maître de calligraphie arabe.
Notre chronique
La goutte d’or : dès le titre, ce nouveau chef-d’œuvre de Michel Tournier nous propose une dualité qui se confirmera au fil du roman :
il s’agit de la breloque/du bijou porte-bonheur provenant du costume d’une danseuse que notre héros, un jeune gardien de troupeau, ne quitte jamais (mais, symboliquement, il la perdra et finira par en retrouver la trace, par hasard) et, bien sûr, du célèbre quartier arabe de Paris où les immigrés se rassemblent pour essayer d’oublier l’exil, et dont l’auteur prend la défense en décrivant avec réalisme les aspects cruels de leur périple trop souvent douloureux, se faisant le porte-parole de tous ceux qu’on voue au silence.
« – Ici, c’est pas comme au pays, lui disait [Achour]. Au pays, t’es coincé dans une famille, dans un village. Si tu te maries, bon Dieu, tu deviens la propriété de ta belle-mère ! Tu deviens comme un meuble de la maison. Ici, non, c’est la liberté. Oui, c’est très bien la liberté ! Alors ici, pas de famille, pas de village, pas de belle-mère ! T’es tout seul. Avec une foule de gens qui passent sans te regarder. Tu peux tomber par terre. Les passants continueront. Personne te ramassera. C’est ça la liberté. C’est dur. Très dur. »
D’un côté, un voyage enchanté, même si l’on comprend que la vie de l’oasis a ses rudesses et ses contraintes, de l’autre un parcours semé d’embûches, beaucoup de désillusions et d’humiliations pour notre candide protagoniste, Idriss, qui « monte » à Paris pour (se procurer) un travail, mais surtout pour retrouver une photo qui lui a été extorquée par une touriste indélicate.
Cette représentation de lui, qui selon ses croyances, a pris une partie de son âme et de son identité sans son consentement (et il vient d’une culture où l’on pense que trop se montrer expose [littéralement !] au mauvais œil) va être exploitée, dévoyée, dégradée par ceux qui prennent sans permission et ne respectent pas la parole donnée (illustrés par cette jeune femme blonde, aussi différente, étrangère qu’on peut l’être et qui lui a aussi, semble-t-il, dérobé un bout de son cœur), il n’aura de cesse de la récupérer. La route sera longue et difficile.
Car cette image se répand de son propre mouvement, dans un univers où elle règne en tyran, et une autre opposition se fait alors avec le monde des signes, de la calligraphie, où règnent la pureté et la perfection, et qui rendra à notre personnage son intégrité volée.
Quête identitaire et du sens de l’existence, recherche d’authenticité, d’absolu et de beauté, plaidoyer, poème philosophique, voire parabole, ce récit est enchâssé comme un objet précieux dans d’autres qui nous donnent accès à son sens profond et en soulignent la splendeur.
Toute la magie, la sagesse des contes d’Orient et leurs enseignements mis à notre portée et au service de problématiques toujours très actuelles (même si certaines dichotomies se sont estompées comme l’affrontement image/signe), pour notre plus grand bonheur.
Déserts et mirages ne sont pas toujours où l’on croit...
« Au demeurant, il n’en revenait pas de cette cité constamment menacée d’étouffement sous ses propres déjections, obsédée par l’urgence d’une évacuation de tous ses surplus, alors qu’une oasis ne souffre que de la pauvreté, du manque, du vide. »
Admirable.
Pour aller plus loin (décès de Michel Tournier).
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