05 octobre 2018

Chronique : Helena de Jérémy Fel (Éditions Rivages)


Résumé de l'éditeur
Kansas, un été plus chaud qu'à l'ordinaire. Une décapotable rouge fonce sur l'Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l'ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s'échappent d'une cave. Des rêves de gloire naissent, d'autres se brisent. La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue. Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l'équilibre familial.

Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu'en l'infligeant à d'autres... Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d'où ils tenteront par tous les moyens de s'extirper. Quitte à risquer le pire. Et il y a Helena... Jusqu'où une mère peut-elle aller pour protéger ses enfants lorsqu'ils commettent l'irréparable ? Après Les Loups à leur porte, Jérémy Fel aborde cette vertigineuse question dans une grande fresque virtuose aux allures de thriller psychologique.


L'auteur
Jérémy Fel fut libraire pendant quelques temps, spécialisé dans les littératures de l’imaginaire, avant de décider de se consacrer à l’écriture.
C'est après ses études de lettres et de philosophie au Havre, puis quelques scénarios de courts métrages, qu'il s’est orienté vers l’écriture de nouvelles.
"Les loups à leur porte" (2015), son premier roman, est un grand puzzle feuilletonesque à l’atmosphère énigmatique et troublante.
En 2018, il publie Helena, un des titres phares de la rentrée littéraire chez Rivages.


Ma chronique
Pas vraiment spécialiste des thrillers, je me suis lancée dans cette lecture avec l'envie de découvrir ce genre. Et grand bien m’en a pris !  Helena est un thriller psychologique qui vous prend aux tripes dès l’incipit, grandiose, magnifique. Ce roman digne d’un Stephen King francophone vous hante de la toute première ligne à l’épilogue !
Pourquoi cette analogie avec l’écriture de Stephen King ? Eh bien, tout simplement, parce que la thématique essentielle de Stephen King est, à mes yeux, le « monstre ». Dès ses débuts King s’intéresse au monstre qui se tapit dans le noir, qui peut, à tout moment (et plus particulièrement la nuit), nous sauter dessus et nous détruire si possible de façon horrifique ; puis petit à petit, S. King s’éloigne de ce monstre fantasmagorique, fantasmé, fantôme, pour s’intéresser au Monstre qui peut sommeiller en nous.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans Helena. Bien sûr, des croque-mitaines, il y en a dans la tête de Tommy, adulte traumatisé, mais ils correspondent à de véritables Monstres qu’il a rencontrés dans son enfance et qui l’ont, à tout jamais, brisé.

Ce roman nous parle de familles dysfonctionnelles, d’obsessions, de fêlures et de traumatismes de l’enfance, multiples, qui vont transformer des êtres anodins en monstres eux-mêmes, lorsqu’ils sont adultes et qu’une étincelle fera tout exploser, tout remettre en question : le bien / le mal. Cependant, pas de manichéisme dans ce roman, bien au contraire, les personnages de Jérémy Fel sont tout ce qu’il y a de plus humains : ni foncièrement bons, ni complètement noirs. Ils sont humains et tentent par tous les moyens de sortir leur épingle du jeu (en espérant une vie moins morne, en tentant de ne pas être simplement dans la norme…), de protéger les leurs (en particulier leurs enfants lorsqu’il s’agit des mères, leurs frères et sœurs…). Même les êtres les plus sordides nous font pitié.
Les actes que Norma est prête à commettre (voire commet), pour protéger Tommy, son fils, véritable Dr Jekyll et Mr Hyde, sont condamnables et difficiles à comprendre, mais rachètent, étrangement, jusqu’à un certain point, son personnage, assez narcissique et égoïste, par ailleurs. Elle est, comme les autres protagonistes, prise au piège de sa propre vie, de son passé et n’aspire qu’à une chose : 
« fuir cette vie dont elle ne voulait plus » (page 325), car 
« Norma rêvait d’accomplir quelque chose qui la ferait connaître à travers le pays tout entier. » (Page 354)
Les nombreuses références littéraires et cinématographiques éclairent le texte de mille façons : par exemple, le prénom de Norma m’a immédiatement fait penser au personnage de Psychose de Hitchcock, Norman Bates, et à l’atmosphère délétère, angoissante, étouffante mais surtout néfaste de cet hôtel, tout comme celle de cette petite maison du Kansas, dans laquelle la mère est, de la même façon, omniprésente. Le Magicien d’Oz et son univers jouent un rôle majeur dans la psychologie de personnages comme Hayley qui aimerait que tout puisse s’arranger d’un coup de baguette magique. En outre, les références peuvent aussi parfois être imaginées par le lecteur comme celle à Nathaniel Hawthorne et sa Lettre écarlate, autre histoire d’amour impossible, à travers le prénom de Nathan. Parfois le lecteur que nous sommes se demande s’il ne va pas trop loin…

Les horreurs sont parfois réelles, parfois imaginées, souvent revisitées et transcendées par le temps qui passe. La symbolique de l’oiseau qui peut s’échapper, s’envoler est très prégnante.
De même, des dichotomies : noir / blanc, nuit / jour, dehors / dedans, sécurité / danger… nous éclairent sur le monde imaginaire des personnages. Or, cette dichotomie est parfois tournée en dérision lorsque par exemple la forêt, les champs de maïs (comme dans un texte de S. King) cristallisent toutes les peurs alors que le véritable danger vient de l’intérieur, de la cellule familiale, pour atteindre le summum de l’horreur et plonger les enfants dans le gouffre dont ils ne réussiront jamais vraiment à sortir, ce gouffre béant symbolisé par le puits de l’enfance de Norma.

La symbolique est omniprésente : celle des chiffres par exemple : Norma et Tommy ont tous deux 8 ans lorsqu’ils vont devoir faire face à des traumatismes. Or, le nombre 8 est la manifestation de la perfection, et la figuration de l'éternité immuable ou de l'autodestruction…


Un roman fort et efficace dans lequel rien n’est laissé au hasard, qui donne envie de se plonger dans Les loups à leur porte !



Interview de Jérémy
Quand avez-vous commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire quand j’étais adolescent, mais il s’agissait alors de scénarios. J’ai vraiment commencé à écrire de façon plus « littéraire » il y a une dizaine d’années.
Quelles sont vos principales influences ?
Pêle-mêle : David Lynch, Stephen King, Dan Simmons, Clive Barker, Joyce Carol Oates…
Exercez-vous une autre profession ?
J’ai la grande chance de vivre de l’écriture. Je suis également en train de travailler sur mon premier film. Ecriture du scénario et réalisation.
Comment définiriez-vous votre métier d’écrivain ?
Difficile de donner une définition. Pour moi, écrire c’est avant tout créer un univers, des personnages, des atmosphères, et avoir une voix particulière, capable d’agripper les sens du lecteur.
Quelles sont vos autres passions ?
Le cinéma, la musique, les séries télé, la bonne bouffe, le bon vin…
Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier d’écrivain ?
Pas forcément l’écriture en tant que telle, qui est un travail qui demande beaucoup d’énergie et de concentration, mais l’avant, quand le roman se dessine dans ma tête, et l’après, quand il s’agit de retravailler le texte de façon obsessionnelle.
Et bien sûr les rencontres en librairie avec les lecteurs, quand je me rends compte à quel point les personnages continuent de vivre dans leurs têtes. Et qu’ils me partagent les émotions qu’ils ont ressenti à la lecture.
Des parties de ce roman sont-elles autobiographiques ?
Eh bien, pas autobiographiques, comme ce serait le cas par exemple pour une auto-fiction, mais j’évoque dans mes livres des choses très personnelles, malgré tout. Mais je ne vous dirai pas quoi !
Quels sont vos meilleurs souvenirs d’auteur ?
Le moment où mon téléphone a sonné et où une éditrice m’a dit qu’elle voulait publier mon premier roman.
Et beaucoup de rencontres très émouvantes avec des lecteurs 
Le mot de la fin ?
Comme mes fins sont souvent « ouvertes » pas de mot de la fin, pour rester cohérent !

Et pour conclure en beauté, deux interviews de Jérémy




Pour aller plus loin 
un article des Inrocks
Une excellente chronique

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Un grand merci à Rakuten pour cette belle découverte et cette nouvelle participation aux  matchs de la rentrée littéraire 2018 !

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