04 janvier 2019

Chronique : Correspondance de Cicéron (Les Belles Lettres)

Un livre nous entraîne fatalement à éprouver des sentiments pour son auteur, car l’homme y transparaît même à son insu. Et j’aime Cicéron.
Cependant, le visage caché au milieu des mots est-il le vrai ?
D’une manière générale connaître l’homme réel derrière l’auteur, c’est, me semble-t-il, prendre le risque d’entacher les effets bienfaisants de la lecture. Un livre existe pour lui-même, même si ce n'est qu'illusion. L’auteur est dépassé par sa création. Et puis, en l’occurrence, je n’aurai pas le loisir de vérifier la véritable personnalité de Cicéron !
Une correspondance n’est pas un roman. Elle est beaucoup plus quand il s’agit de comprendre un homme (ou une femme). Elle nous donne à voir l’intime.
Huit cents lettres extraordinaires sont parvenues jusqu'à nous à travers vingt siècles d’Histoire. Comment un tel miracle a-t-il été possible ?
C’est Tiron, l’esclave de Cicéron qui, après la mort de son Maître s’est chargé de regrouper toute sa correspondance.
Les rapports de Cicéron avec son esclave étaient loin d’être ceux qu’on imagine. Tiron était son ami intime (Cicéron l’a du reste affranchi). Qu’on en juge :
Je penserai avoir reçu le plus beau cadeau du monde quand je te verrai en bonne santé… Je ne puis prendre aucun plaisir à lire un livre tant que je ne t’aurai pas vu…. Emploie ton intelligence que j’estime si haut à te conserver, pour moi, comme pour toi… Personne ne nous aime qui n’ait affection pour toi : comme tu feras plaisir à tous en revenant après cette longue attente !
Bien des personnages de la grande Histoire de Rome vivent à nos côtés le temps de ces onze volumes dont on ne se lasse pas. Il y a des lettres de Jules César, de Marc Antoine, de Pompée pour ne citer qu’eux. Comme on voudrait en avoir davantage !
On suit les relations des uns et des autres, souvent houleuses, en ayant la plupart du temps que la voix de Cicéron. Traîtrise, lâcheté, hypocrisie, jalousie sont à l’œuvre dans cette époque expéditive quand il s’agit d’éliminer les concurrents. Mais de cette fresque immense, je retiendrai surtout les sentiments, les émotions, qui démentent la cruauté intrinsèque des événements. Sentiments de Cicéron pour Tiron bien sûr, mais aussi pour sa fille, Tullia. Immense affection d’un père pour sa fille, au détriment même du fils, ce qui est incroyable pour cette antiquité régie par l’autorité du pater familias.
Dès sa naissance Tullia ravit son père :
Tulliola, notre délicieuse enfant…
Cicéron qui déteste les jeux du cirque y emmène malgré tout sa fille :
Il doit y avoir des jeux à Antium du 4 au 6 ; Tullia a envie de les voir…
Il ne supporte pas l’absence de son enfant :
Ne plus voir ma fille ? Elle, si aimante, si intelligente ! Elle en qui je retrouve mes traits, mes façons de parler, de sentir…C’est de l’amour filial et une union très étroite…
Et pourtant, ma fille, mon enfant chérie, va mourir, des suites d’un accouchement difficile. Dès lors Cicéron ne sera plus le même.
Il continuera à se mêler à la vie publique mais avec cynisme et résignation.

Et le jour où Antoine enverra des légionnaires pour l’assassiner, il renoncera à monter sur l’un de ces navires (qu’il a toujours détestés) pour quitter l’Italie et se livrera sans résister aux bourreaux.

Gabriel (nom de plume de Thierry Erhart)

Vous pouvez également relire la chronique humoristique de Gabriel.

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