Photographie © David Ignaszewski-koboy
Quelle lectrice êtes-vous ?
Je suis une lectrice gourmande, curieuse, passionnée mais
exigeante : je peux m’enthousiasmer pour des livres très différents, mais
faut que je sente qu’il y a une écriture. Sinon, même si le sujet est fort, je
décroche rapidement du livre. D’autre part, la lecture est pour moi un
territoire de liberté absolue qui ne supporte aucun diktat. C’est pourquoi j’ai
eu du mal avec les lectures obligées de l’école. Je lis ce que je veux, au
moment où j’en ai besoin, au gré de mon désir et de ma curiosité.
Quelles sont vos principales influences ?
Dans l’enfance, j’ai été très influencée par les auteurs du
XIXème, de Balzac à Dickens et de Barbey d’Aurévilly aux sœurs Brontë. Ils ont
nourri mon imaginaire et mon appétit pour des romans généreux, des romans
« fresques ». Plus tard, j’ai été éblouie par des auteurs aussi
différents que Nabokov, Kundéra, Camus, Arthur Koestler ou Steinbeck. La poésie
de Desnos m’est essentielle depuis l’adolescence, avec son lyrisme et sa part
de mystère. Aujourd’hui, j’aime aussi découvrir des plumes contemporaines et je
suis très admirative du travail de Joyce Caroll Oates.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
J’ai décidé d’écrire à 8 ans, après avoir refermé Jane Eyre.
Dès cette époque, j’ai commencé à écrire des petites histoires, souvent
horrifiques. Et plus tard, quantité de débuts de romans. Puis un certain nombre
de romans ratés, le temps d’apprendre à construire une histoire, à écrire un
dialogue qui sonne juste. Je vis ce métier comme une quête à la fois artisanale
et spirituelle. J’ai le sentiment de progresser, de grandir d’un roman à
l’autre.
Quel retour de lecteur/lectrice vous a le plus émue ?
Beaucoup de retours de lecteurs me touchent. Pour la Femme
révélée, je suis particulièrement émue par les retours de lectrices qui me
disent que mon personnage les a remuées et bouleversées, qu’elles y ont
retrouvé des échos de leurs vies, de leurs chemins vers la féminité, la
maternité, la liberté.
Quand écrivez-vous ? Avez-vous un rituel d’écriture ? de
petites manies d’auteure ?
Je pense longtemps à mes romans avant de commencer à les
écrire. Je pense aux personnages comme à de vraies personnes, notamment en
marchant, et je fais des recherches. Lorsque je suis en période d’écriture,
j’écris 5 à 6 heures par jour. C’est une épreuve, tout en étant un plaisir. Le
plaisir que ressent un alpiniste qui escalade un sommet escarpé. Il en bave,
mais il s’affronte à ses limites et essaie de les repousser un peu à chaque
fois. J’ai une habitude qui tient de la superstition : je suis aveuglément
mes intuitions et j’essaie de les vérifier avec la documentation. Sinon, avant
d’écrire je lis certains auteurs dont l’écriture, en général très différente de
la mienne, me met dans la bonne disposition pour écrire. Comme j’écouterais un
genre précis de musique. Sur ce roman, souvent je lisais quelques pages de
James Baldwin, dont j’admire infiniment la délicatesse, l’écriture et la
pensée.
Quel a été votre plus grand bonheur littéraire ?
J’en ai eu plus d’un. Mais je crois que le plus grand, c’est
lorsqu’un lecteur qui aime Robert Desnos depuis longtemps me dit qu’il a le
sentiment de l’avoir rencontré en chair et en os en lisant mon roman, « Légende
d’un dormeur éveillé ».
Pouvez-vous nous parler de vos livres ?
J’ai le sentiment qu’il y a des points communs entre mes
romans, même s’ils diffèrent par l’écriture, l’époque ou l’histoire… Au bout de
4, je m’aperçois qu’ils abordent tous, chacun à leur manière, le thème de la
liberté et de l’héritage, mais aussi de la filiation : comment
pouvons-nous conquérir un peu de liberté au-delà de ce que nous héritons, et de
ce qui pèse sur nous sans que nous l’ayons choisi ? Ils ont en général des
héros qui se trouvent en position d’infériorité juste parce qu’ils sont nés
femmes, pauvres ou avec une certaine couleur de peau. Malgré les embûches, ils
font du chemin entre le début et la fin du roman, notamment grâce à aux liens
qu’ils tissent avec les autres. Ils s’émancipent et se découvrent des
ressources insoupçonnées, comme le courage. Ce chemin des personnages me
passionne. Je les accompagne jusqu’au moment où je sens que je peux les
laisser, qu’ils sont en meilleure posture.
Êtes-vous en train d’écrire un nouveau roman ?
Pas encore. Pour l’instant, je suis dans cet entre-deux où
j’éprouve le vide laissé par le roman terminé. Les personnages m’ont quittée,
je me sens dépeuplée. C’est une phase nécessaire mais inconfortable. Il me
tarde d’être de nouveau accaparée par une histoire, et par d’autres
personnages !
Le mot de la fin ?
Aujourd’hui, on assiste à un retour en force du témoignage. Certains
témoignages sont précieux et importants, mais je crois que la fiction n’a
jamais été plus essentielle. Parce qu’elle reste le meilleur moyen de se
glisser dans la peau d’un autre. De sortir de notre point de vue toujours
limité, et de notre tendance à simplifier les situations et les êtres. C’est un
voyage dont on ressort changé, avec une conscience élargie. Aujourd’hui plus
que jamais, ça me paraît nécessaire.
Merci infiniment Gaëlle !
Pour aller plus loin
Notre chronique de La femme révélée
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