07 mars 2020

Interview de Gaëlle Nohant


Photographie © David Ignaszewski-koboy

Quelle lectrice êtes-vous ?
Je suis une lectrice gourmande, curieuse, passionnée mais exigeante : je peux m’enthousiasmer pour des livres très différents, mais faut que je sente qu’il y a une écriture. Sinon, même si le sujet est fort, je décroche rapidement du livre. D’autre part, la lecture est pour moi un territoire de liberté absolue qui ne supporte aucun diktat. C’est pourquoi j’ai eu du mal avec les lectures obligées de l’école. Je lis ce que je veux, au moment où j’en ai besoin, au gré de mon désir et de ma curiosité.

Quelles sont vos principales influences ?
Dans l’enfance, j’ai été très influencée par les auteurs du XIXème, de Balzac à Dickens et de Barbey d’Aurévilly aux sœurs Brontë. Ils ont nourri mon imaginaire et mon appétit pour des romans généreux, des romans « fresques ». Plus tard, j’ai été éblouie par des auteurs aussi différents que Nabokov, Kundéra, Camus, Arthur Koestler ou Steinbeck. La poésie de Desnos m’est essentielle depuis l’adolescence, avec son lyrisme et sa part de mystère. Aujourd’hui, j’aime aussi découvrir des plumes contemporaines et je suis très admirative du travail de Joyce Caroll Oates.

Quand avez-vous commencé à écrire ?
J’ai décidé d’écrire à 8 ans, après avoir refermé Jane Eyre. Dès cette époque, j’ai commencé à écrire des petites histoires, souvent horrifiques. Et plus tard, quantité de débuts de romans. Puis un certain nombre de romans ratés, le temps d’apprendre à construire une histoire, à écrire un dialogue qui sonne juste. Je vis ce métier comme une quête à la fois artisanale et spirituelle. J’ai le sentiment de progresser, de grandir d’un roman à l’autre.

Quel retour de lecteur/lectrice vous a le plus émue ?
Beaucoup de retours de lecteurs me touchent. Pour la Femme révélée, je suis particulièrement émue par les retours de lectrices qui me disent que mon personnage les a remuées et bouleversées, qu’elles y ont retrouvé des échos de leurs vies, de leurs chemins vers la féminité, la maternité, la liberté.  

Quand écrivez-vous ? Avez-vous un rituel d’écriture ? de petites manies d’auteure ?
Je pense longtemps à mes romans avant de commencer à les écrire. Je pense aux personnages comme à de vraies personnes, notamment en marchant, et je fais des recherches. Lorsque je suis en période d’écriture, j’écris 5 à 6 heures par jour. C’est une épreuve, tout en étant un plaisir. Le plaisir que ressent un alpiniste qui escalade un sommet escarpé. Il en bave, mais il s’affronte à ses limites et essaie de les repousser un peu à chaque fois. J’ai une habitude qui tient de la superstition : je suis aveuglément mes intuitions et j’essaie de les vérifier avec la documentation. Sinon, avant d’écrire je lis certains auteurs dont l’écriture, en général très différente de la mienne, me met dans la bonne disposition pour écrire. Comme j’écouterais un genre précis de musique. Sur ce roman, souvent je lisais quelques pages de James Baldwin, dont j’admire infiniment la délicatesse, l’écriture et la pensée.

Quel a été votre plus grand bonheur littéraire ?
J’en ai eu plus d’un. Mais je crois que le plus grand, c’est lorsqu’un lecteur qui aime Robert Desnos depuis longtemps me dit qu’il a le sentiment de l’avoir rencontré en chair et en os en lisant mon roman, « Légende d’un dormeur éveillé ».

Pouvez-vous nous parler de vos livres ?
J’ai le sentiment qu’il y a des points communs entre mes romans, même s’ils diffèrent par l’écriture, l’époque ou l’histoire… Au bout de 4, je m’aperçois qu’ils abordent tous, chacun à leur manière, le thème de la liberté et de l’héritage, mais aussi de la filiation : comment pouvons-nous conquérir un peu de liberté au-delà de ce que nous héritons, et de ce qui pèse sur nous sans que nous l’ayons choisi ? Ils ont en général des héros qui se trouvent en position d’infériorité juste parce qu’ils sont nés femmes, pauvres ou avec une certaine couleur de peau. Malgré les embûches, ils font du chemin entre le début et la fin du roman, notamment grâce à aux liens qu’ils tissent avec les autres. Ils s’émancipent et se découvrent des ressources insoupçonnées, comme le courage. Ce chemin des personnages me passionne. Je les accompagne jusqu’au moment où je sens que je peux les laisser, qu’ils sont en meilleure posture.

Êtes-vous en train d’écrire un nouveau roman ?
Pas encore. Pour l’instant, je suis dans cet entre-deux où j’éprouve le vide laissé par le roman terminé. Les personnages m’ont quittée, je me sens dépeuplée. C’est une phase nécessaire mais inconfortable. Il me tarde d’être de nouveau accaparée par une histoire, et par d’autres personnages !

Le mot de la fin ?
Aujourd’hui, on assiste à un retour en force du témoignage. Certains témoignages sont précieux et importants, mais je crois que la fiction n’a jamais été plus essentielle. Parce qu’elle reste le meilleur moyen de se glisser dans la peau d’un autre. De sortir de notre point de vue toujours limité, et de notre tendance à simplifier les situations et les êtres. C’est un voyage dont on ressort changé, avec une conscience élargie. Aujourd’hui plus que jamais, ça me paraît nécessaire. 

Merci infiniment Gaëlle !


Pour aller plus loin 
Notre chronique de La femme révélée

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