10 juillet 2023

Chronique littéraire : Les Naufragés de Dieu de François Leguat (Phébus).

Résumé  

Les Français possédaient un Robinson (publié avant celui de Defoe) et ils l'avaient oublié ! Et le plus fort de l'affaire est que l'ouvrage qui nous conte ses aventures n'est pas un roman : François Leguat a bien existé, il a bel et bien vécu (entre 1690 et 1698) l'impossible histoire qu'il nous relate ici par le détail - et, dernier miracle, il a eu l'âme assez généreuse pour en faire un grand livre.

Lui et ses compagnons font partie de la triste cohorte de ces protestants exilés que Louis XIV, sottement conseillé par la Maintenon, avait chassé de France en révoquant l'édit de Nantes. Réfugié en Hollande, Leguat, secondé par une poignée de gaillards sans expérience, se voit dépêché par les autorités d'Amsterdam au beau milieu de l'océan Indien afin de mettre en valeur les îles Mascareignes. L'île Bourbon - aujourd'hui la Réunion - n'étant alors peuplée que par une poignée de malheureux un peu oubliés par la France, c'est d'abord vers elle qu'on les a dirigés (Maurice étant pour lors possession hollandaise). Mais Louis XIV se décidant enfin à s'occuper de son île, ils échouent sur la plage d'une terre parfaitement déserte - qui répond au beau nom de Rodrigue.

Cette robinsonnade, contée avec vivacité par un Rousseau avant la lettre, ferait déjà un bon livre, mais les choses ne tardent pas à mal tourner... et la seconde "isle" où échouent nos exilés sera celle de l'horreur. D'où le livre que l'infortuné Leguat va tirer - pour notre âpre édification - une altitude inattendue...


Notre chronique

Huit hommes naufragés sur une île déserte. On pense aussitôt à Robinson Crusoé. Sauf que cette histoire est la relation authentique d’une mésaventure vécue par un groupe de protestants exilés à la fin du dix-huitième siècle. Nous n’avons donc pas affaire ici à un roman, mais à un récit qui prend du reste complètement à contre-pied le texte de Daniel Defoe qualifié à l’époque de rousseauiste. 

La réalité qui y est décrite est en effet loin d’être édénique. Qu’on en juge : les maladies sont pléthoriques, les animaux souvent immangeables, les tentatives pour s’échapper de l’île Rodrigue toutes vouées à l’échec… Au fond, c’est la dure réalité opposée (chez Defoe) à l’imagination du romancier, et c’est ce qui fait tout l’intérêt d’un texte (presque un journal) d’où l’être humain ne sort pas particulièrement grandi. Alors, exagération ? On ne le saura jamais. En tout cas, l’aventure ne manque pas de rebondissements et Leguat, qui est profondément croyant, ne se laisse jamais abattre par les turpitudes (infinies) de ses compatriotes. À la fin, revenu dans son pays d’accueil — la Hollande —, il rédigera même un cantique (!) afin d’obtenir le pardon pour ses nombreux persécuteurs. Toute une époque… Un doute subsiste toutefois dans la cohérence de l’histoire, car nos héros parviennent (sur une embarcation de fortune) en huit jours de l’île Rodrigue à l’île Maurice. Or (j’ai vérifié), l’île Rodrigue se situe à 500 milles (c’est-à-dire plus de 800 kilomètres) de Maurice. Un tel exploit ne serait pas réalisable même de nos jours. Alors Leguat et ses compagnons (dont deux seulement survécurent) étaient-ils vraiment à Rodrigue ? Sur un îlot inconnu ? Le mystère reste entier et (à mon avis) n’a pas fini de passionner des générations de chercheurs… 


Pour aller plus loin

About Defoe's Robinson Crusoe

Roman jeunesse 

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Gabriel et Marie-Hélène.