15 janvier 2024

Chronique littéraire : Monsieur Proust de Céleste Albaret (Robert Laffont).

Qui était l’homme ?

On l’a dit froid et analytique comme ces savants qui observent la vie à travers leurs microscopes, une vie si petite qu’elle semble désincarnée, ne suscitant guère d’empathie. Et c’est bien ainsi que l’univers mondain a été décrit, minuscule, ridicule, et dans ce sens, lui aussi, indigne d’affection par l’intelligent Marcel. Devant la cruauté du tableau dépeint dans La Recherche, beaucoup d’observateurs – et en particulier ses biographes – en ont déduit que Proust n’aimait personne à part sa mère. Or, lorsqu’on lit le témoignage de Céleste Albaret qui a vécu jour et nuit à ses côtés pendant les dix dernières années de sa brève existence, en qualité de gouvernante, confidente, collaboratrice, amie même, on découvre un homme dont le portrait est totalement opposé à ce qu’ont pu en dire André Maurois, Georges Painter, ou même Jean-Yves Tadié (selon nous le plus sérieux et le plus exhaustif de ses biographes).

Ce livre – devant l’accumulation des médisances, des erreurs, voire des pures inventions (Painter) relatives à la vie de Marcel Proust – Céleste Albaret s’est décidée à l’entreprendre à l’âge de quatre-vingts ans (grâce à l’aide de Georges Belmont qui a recueilli son témoignage au cours de nombreuses heures d’interviews), alors que – sollicitée depuis toujours – elle s’était pourtant juré de ne rien dévoiler de l’intimité d’un homme pour qui elle avait un respect absolu :

« Il y des gens qui prétendent qu’il était méchant dans sa façon de voir les autres. Moi, je pense que c’était d’abord et surtout un moraliste. Ce qu’il cherchait en tout – que ce soit vertu ou vice ou prétention – c’était l’honnêteté de la vérité »

L’écrivain entièrement voué à son œuvre, au point d’y sacrifier sa santé et même sa vie, Céleste Albaret nous le dévoile au cours de ces entretiens, raffiné, sensible à l’extrême (ce qui n’est pas surprenant), mais également (et c’est là tout l’intérêt de ce récit littéralement porté par un souffle d’authenticité et d’amour, oui, Céleste, bien que mariée, était folle de Marcel), affectueux, à l’écoute des autres, en particulier des plus modestes.

« Il aurait fallu une femme qui me comprît. Et comme je n’en connais qu’une au monde, il n’y a que vous que j’aurais pu épouser. »

Cette déclaration de Proust à Céleste – et il y a tant d’autres marques d’affection dans ces souvenirs – prouve à quel point la jeune femme (elle avait vingt-deux ans à l’époque) n’était pas – comme l’affirme Painter – qu’une simple servante.

Il faut reconnaître que, d’une manière générale, les biographes de Proust ont négligé le témoignage de Céleste Albaret, considérant que l’écrivain s’était joué de sa gouvernante pour construire sa propre légende. C’est une fois encore abonder dans le sens d’un supposé cynisme de l’auteur de La Recherche.

Et, du reste, lorsqu’on lit Monsieur Proust, ces assertions négatives s’évanouissent aussitôt.

Comment – il faut bien l’admettre – une personne qui a vécu pendant dix années, jour et nuit avec un homme, dans une intimité totale – excepté sexuelle, bien entendu – aurait-elle pu passer à côté de sa véritable nature, de son véritable caractère ? D’autant que Céleste Albaret était – à défaut d’être cultivée, puisqu’elle était d’origine paysanne – une femme remarquablement intuitive, intelligente et observatrice.

« Aujourd’hui j’ai compris que toute la recherche de Marcel Proust, tout son grand sacrifice à son œuvre, cela a été de se mettre hors du temps pour le retrouver. Quand il n’y a plus de temps, c’est le silence. »

En résumé, si vous aimez passionnément l’œuvre (ce qui est notre cas), découvrez l’homme à travers ce témoignage qui vaut bien plus que toutes les biographies ; un Marcel Proust reclus, sacrifiant sa vie à son œuvre, un homme d’une profonde intégrité, plus attaché à Céleste et à Odilon (son mari) qu’aux gens du monde, un homme souvent facétieux, tendre, blessé, rongé par la maladie, un homme étrange et fascinant, et l’un des plus grands auteurs de la littérature mondiale.


Pour aller plus loin

Chronique littéraire collaborative : À la recherche du temps perdu

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Gabriel et Marie-Hélène.