25 août 2025

Chronique littéraire : La Confusion des sentiments de Stefan Zweig (Stock, Le Livre de Poche).


Résumé de l’éditeur
Au soir de sa vie, un vieux professeur se souvient de l’aventure qui, plus que les honneurs et la réussite de sa carrière, a marqué sa vie. A dix-neuf ans, il a été fasciné par la personnalité d’un de ses professeurs ; l’admiration et la recherche inconsciente d’un Père font alors naître en lui un sentiment mêlé d’idolâtrie, de soumission et d’un amour presque morbide.
Freud a salué la finesse et la vérité avec lesquelles l’auteur d’Amok et du Joueur d’échecs restituait le trouble d’une passion et le malaise qu’elle engendre chez celui qui en est l’objet.
Paru en 1927, ce récit bref et profond connut un succès fulgurant, en raison de la nouveauté audacieuse du sujet. Il demeure assurément l’un des chefs-d’œuvre du grand écrivain autrichien.

Notre chronique
Paru en 1927, La Confusion des sentiments est l’un des récits les plus audacieux de Stefan Zweig. Les thématiques de l’admiration du maître, du désir et de la quête d’identité sont au cœur de ce superbe roman.
« Pendant toute une vie, j’ai tracé des portraits humains, j’ai réveillé du fond des siècles des figures, pour les rendre sensibles aux hommes d’aujourd’hui, et précisément je n’ai jamais pensé à celui qui a toujours été le plus présent en moi ; aussi je veux lui donner, à ce cher fantôme, comme aux temps homériques, à boire de mon propre sang, pour qu’il me parle de nouveau et pour que lui, qui depuis longtemps a été emporté par l’âge, soit auprès de moi, qui suis en train de vieillir. Je veux ajouter un feuillet secret aux feuilles publiques, mettre un témoignage du sentiment à côté du livre savant, et me raconter à moi-même, pour l’amour de lui, la vérité de ma jeunesse. »
Le récit met en scène un jeune étudiant fasciné par son professeur de littérature charismatique et tourmenté. 
« Ici un professeur usé déroulait froidement son sujet ! J’écoutais avec une anxiété toujours nouvelle l’accent de sa parole, pour voir si malgré tout le ton d’hier ne reparaîtrait pas, cette vibration chaude qui avait étreint mon être comme une main sonore et qui l’avait haussé jusqu’au timbre de la passion. Mon regard se posait sur lui toujours plus inquiet, palpant, en quelque sorte, plein de déception, ce visage devenu étranger : indéniablement la figure était la même, mais elle semblait vidée et dépouillée de toutes forces créatrices ; elle était lasse et vieillie, comme le masque parcheminé d’un homme très âgé. Une pareille chose était-elle possible ? Pouvait-on être si jeune à une certaine heure et, l’heure d’après, si vieux ? Y avait-il des bouillonnements de l’esprit qui soudain transforment le visage aussi bien que la parole et qui vous rajeunissent de dizaine d’années ? »
Stefan Zweig analyse la frontière entre admiration intellectuelle et passion affective. Ce glissement progressif est d’autant plus remarquable qu’il se déploie dans une société où certaines émotions restent indicibles.
« Nous vivons des myriades de secondes et pourtant, il n’y en a jamais qu’une, une seule, qui met en ébullition tout notre monde intérieur : la seconde où (Stendhal l’a décrite) la fleur interne, déjà abreuvée de tous les sucs, réalise comme un éclair sa cristallisation – seconde magique, semblable à celle de la procréation et comme elle, cachée bien au chaud, au plus profond du corps, invisible, intangible, imperceptible –, mystère qui n’est vécu qu’une seule fois. »
L’écriture de Zweig capte les tensions intérieures et les élans contradictoires des personnages, de tous : du maître, de son épouse, de son étudiant. 
« Celui qui n’est pas passionné devient tout au plus un pédagogue ; c’est toujours par l’intérieur qu’il faut aller aux choses, toujours, toujours en partant de la passion. »
Une œuvre toujours pertinente aujourd’hui. À lire ou relire !

Pour aller plus loin
Le joueur d'échecs
Rien n'est noir de Claire Berest
Je suis le carnet de Dora Maar de Brigitte Benkemoun
L'ami de Sigrid Nunez
L'étoile des frontières d'Alfred de Montesquiou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.