13 septembre 2025

Dissonances (Éditions Ex Æquo) - Extrait de DÉSACCORD PARFAIT.

 

DÉSACCORD PARFAIT

 Schubert, Impromptus,

Maria Joao Pires, Deutsche Grammophon.


La pluie du Nord tombait par saccades lourdes et denses. Maryse ouvrit rapidement son parapluie, mais il se retourna sous le vent. Rageusement, elle le replia sans attacher le velcro. Au même moment, un bus la croisa et lui envoya une gerbe boueuse, achevant d’assombrir son humeur. Et puis, il y avait ce bouton de fièvre découvert à son lever dans le miroir de la salle de bain. Bien visible. Pour une première enquête, ça commençait bien, songea-t-elle en franchissant le portail du conservatoire. Bien sûr, elle s’était préparée à ce retour, et malgré elle, les souvenirs la submergèrent dès son entrée dans les locaux vétustes : les cours de formation musicale, les gammes au piano, la chorale braillarde, les examens où, seule, désespérément seule, plantée devant un jury las et inattentif, elle devait exprimer quelque chose, dont le sens lui avait toujours échappé… Pourquoi avait-il fallu que son père fasse de la musique et qu’il veuille à tout prix perpétuer la tradition ? Après tout, il navait rien fait de ses années d’études, à part écouter en boucle les quatuors de Beethoven quelle détestait. Surtout le cor. Il y a des instruments dont on ne supporte pas le timbre. Cest viscéral.

Elle se faufila sous le cordon jaune. Une secrétaire vêtue comme une retraitée l’accueillit en fronçant les sourcils :

— C’est vous le lieutenant ?

— En effet, répondit-elle, sans s’étendre sur les évolutions de la police.

Elle saturait de ce genre de débat. Les femmes prenaient leur place partout, y compris dans l’armée, et elle trouvait cela juste. Point final. 

— Où est le cadavre ?

— Suivez-moi, répondit la secrétaire, en sursautant à l’énoncé du mot cadavre.

Elle entra dans un bureau conforme à l’esthétique de l’administration : armoires métalliques, bureau en particules, chaises à roulettes usagées. 

Le directeur reposait, avachi sur son bureau, dans une attitude éminemment contraire à la dignité de sa fonction.

— Je l’ai trouvé comme ça, ce matin, dit la secrétaire, en s’excusant presque.

— C’est comment votre nom ?

— Liugi, répondit la secrétaire, qui se mit au garde-à-vous, pressentant l’interrogatoire.

— Bon, asseyez-vous, suggéra Maryse. Vous n’auriez pas un peu de café, s’il vous plaît ?

Madame Liugi s’approcha d’une cafetière électrique rehaussée d’un filtre en plastique. Ce geste accompli chaque matin la déconcerta avec un mort pour convive. 

— Je vais peut-être la nettoyer ? dit-elle en hésitant.

— Je pense que ça vaut mieux ! répondit la jeune femme sans ironie.

Les gars du labo avaient, une heure auparavant, décelé de la strychnine dans le café.

Pour aller plus loin

Dissonances.


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