10 décembre 2018

Chronique : Le legs de Philippe Henry (Éditions Nouvelle Bibliothèque)

La quatrième de couverture
« Ils ont toujours prononcé mon prénom comme si j’étais espagnol. Ils disaient « Ron ». Pas une fois ils ne se sont demandé d’où venait ce prénom. Jon, c’est le diminutif de Jonathan. Jonathan, c’est un prénom juif. Je suis juif. Ma mère était juive. Grand-père était juif. » 
Mais cet héritage-là, Jon n'en veut pas. Il ne veut pas de cette douleur qui lui vient du passé. Il donnerait tant pour que ne retombe pas sur ses épaules cette mission absurde que lui a assignée son grand père, aux derniers souffles de sa vie. Il voudrait vivre comme tous les autres jeunes de son âge. Comme la petite Marie, comme Gilles. La vie est si douce avec eux. Mais peut-il continuer comme avant, comme s'il ne savait pas ?

Notre chronique
Un livre très bien écrit, tel que nous les aimons : fin, délicat et tout en nuance lexicale.
Un suspense créé en partie par le mode d'écriture : cinq personnages - une famille - sont narrateurs et construisent le récit, progressivement. Une histoire de vengeance dans un contexte cruel. Ou comment s'en sortir et faire ou non les bons choix pendant la guerre, dans des moments où tous les repères, la morale et beaucoup de notions perdent, malheureusement, de leur sens.
L'ironie dramatique, qui résulte de l'absence d'un narrateur omniscient, permet au lecteur de mieux comprendre les différents personnages ainsi que leurs motivations.
Un texte très fort que l'on doit découvrir et non révéler dans une chronique...
Un ouvrage qui ne cède pas à la facilité, qui rend compte d'une réalité mouvante, contradictoire et dure, sans jamais tomber dans le pathos.
Un très grand livre !


Biographie imagée
On devrait laisser écrire sa biographie par les autres. Ce serait beaucoup plus simple. Une hagiographie, ce serait parfait. Mais peut-être trop long finalement. Le mieux, que j’essaye de résumer et de conclure par quelques flashs sur des périodes ponctuelles. Par contre, je vous préviens, je suis bavard. Le résumé est une chose qui me fait souffrir. Ou alors, se contenter des faits. Rien que les faits en reconnaissant toutefois que les sélectionner serait déjà sortir de la pure objectivité factuelle. Par exemple :

- Je m’appelle Philippe Henry (Henry, c’est le nom de famille. Les gens confondent souvent). Je suis né le 26 janvier 1950 à Paris dans le 10ème…. Et déjà, les problèmes commencent ! Jusqu’à 16 ou 17 ans, je croyais être né le 25 janvier. C’était le jour anniversaire de ma mère. Dans la famille, on avait regroupé. Vous voyez, déjà je parle de ma mère. Est-ce bien logique ? Ah aussi, j’ai vu sur la photocopie de l’extrait de naissance, c’est ma grand-mère qui est allée à la mairie me déclarer. J’ai vu sa signature. Pas normal non ? Que faisait-il mon père le 25 ou 26 janvier 1950 ? En plus, à cause de cette grand-mère, j’ai eu les cheveux longs entre un et deux ans. Que voulez-vous, elle voulait tellement une petite fille… A mon avis, cela laisse forcément des traces... Mais, faut-il vraiment que je vous parle de ma grand-mère ?  Je ne sais plus. Revenons-en aux faits :

- J’ai été scolarisé très tôt. Du coup, lorsque mes parents ont déménagé, on m’a fait rentrer à 4 ans en 11ème. J’étais en avance sur le programme. J’en savais trop. En même temps, sans me le rappeler vraiment, je pense que je n’étais pas tout à fait en phase avec mes petits camarades. D’ailleurs, dans la cour de l’école, rue Boileau, je demandais souvent aux autres « On est le matin ou l’après-midi ? ». Pas normal non ? Forcément, j’ai redoublé ma sixième. A cet âge-là, je lisais beaucoup. Je me souviens, allongé sur mon lit, en Normandie, cet énorme livre des Misérables
Fantastique. J’avais le virus. Après, rien (enfin voyez quand même la rubrique des flashs à la fin de la bio…) Pas grand-chose de marquant en tout cas jusqu’au bac et la fac. Nanterre en 1967, cela ne vous dit rien ? Eh oui, j’ai suivi ma licence de lettres dans le berceau de la révolte étudiante. Bon, mais les évènements de 68, je les ai surtout écoutés à la radio.

- Dans ma famille, on était besogneux. Ma mère - toujours elle - s’esquintait à faire vivre la famille à défaut de voir mon père rapporter de quoi faire bouillir la marmite. Quant à moi, très jeune et jusqu’au moment où j’ai cessé mes études, je passais mes étés à gagner de l’argent. Pour arrondir mon argent de poche au début, et m’acheter à peu près ce que je voulais par la suite. J’ai exercé un nombre conséquent de petits métiers. Du Prévert ! J’ai gagné pas mal de sous d’ailleurs. Mais évidemment, je passais beaucoup plus de temps à travailler qu’à me faire des copains. Cette fois-ci, le problème n’était pas que j’étais trop jeune, mais que je travaillais et pas les autres.

- Comme le goût à travailler et gagner sa vie tout seul laisse des traces, à peine ma licence de lettres modernes obtenue, je me suis précipité dans la recherche d’un vrai travail. Je me serais bien vu enseignant mais ma grand-mère (encore elle) m’avait dit un jour en me montrant de beaux immeubles « Tu vois, pour habiter là, il faut que tu travailles beaucoup ». Alors, je voulais arriver à gagner plein d’argent. C’est comme cela que je suis très vite entré dans une banque. (Je note au passage que c’est principalement pour gagner de l’argent et se payer un logement que Céline a écrit Voyage au bout de la nuit. Évidemment, tout cela est sans rapport)

- Ma jeunesse m’a suivi tout au long de ma carrière dans cette banque. Le plus jeune gradé de Paris, le plus jeune cadre, etc… Un jour, je suis allé dire aux gens de la DRH que j’en avais assez que l’on me demande de prendre mon mal en patience. D’accord, mon tour viendrait, mais est-ce que l’on ne pouvait pas essayer tout de suite ? Évidemment non. On est en France. Alors j’ai changé de banque, et cela a plutôt bien réussi. Bref, j’ai eu la chance d’aimer mon travail et d’y très bien gagner ma vie.  Au passage, je me suis marié et j’ai eu deux enfants. Il me semblait que j’avais atteint le summum.

- Bien plus tard, vers 50 ans, j’ai gagné pas mal d’argent en bourse. C’était l’époque de la bulle internet. Elle était tellement grosse que j’ai vendu un mois avant qu’elle explose. Je me suis fait quelque chose qui n’était pas très éloigné de la fortune. Cela m’a semblé être une position suffisamment assise pour dire à un nouveau patron (vous le retrouverez dans un de mes livres… devinette) que je refusais de travailler avec lui. On m’appréciait beaucoup dans ce groupe bancaire. Ils ont hésité, et puis quand même non, on ne désavoue pas un haut cadre que l’on vient de recruter et avec qui on fait des parties de golf. On m’a viré, et on m’a redonné encore de l’argent. Je n’ai jamais eu besoin de reprendre le travail, sans pour autant vivre dans l’opulence. C’est vers cet âge-là aussi que j’ai commencé d’écrire des vrais livres (enfin, ils étaient vrais selon moi. Comme ils n’avaient pas de lecteurs, personne ne m’a détrompé).

- Et donc maintenant je fais pas mal de choses. D’abord, nous avons beaucoup voyagé. Avec les enfants au début et puis après avec mon épouse. Nous ne sommes pas allés partout, mais quand même beaucoup d’endroits. Nous sommes souvent revenus plusieurs fois à certains endroits. Viet Nam, USA, Venise. Comment ne pas revenir souvent à Venise ?
Après avoir passé notre vie à Paris ou à proximité, nous nous sommes installés au pays basque, entre mer, piémont et Espagne. Entre autres, j’écris et je lis. Je relis beaucoup. Des grands « classiques ». Enfin mes classiques à moi : Céline, Proust, Woolf, Duras, Faulkner, Montherlant… Rien que des morts. Parfois quand même un livre récent qu’on me demande de lire. Au fond je ne regrette pas souvent. Récemment, ce qui m’a le plus plu c’est un recueil de nouvelles : L’enfant fou, de Brian Merrant. Et puis Corps et âme, à cause de la musique.
Pour ce qui est de l’écriture, j’ai un problème : j’écris des choses très différentes. Mon lectorat, si j’en ai un un jour risque de se perdre.
Le plus souvent, c’est assez sérieux. Des romans psychologiques, avec pas mal d’empathie pour mes personnages. Et peut-être un fond de sensibilité trop marqué (peut-être à cause de cette histoire de queue de cheval entre 1 et 2 ans ?) Et puis quelques romans « policiers ». Je mets des guillemets parce que je parle parfois de tout et de rien dans mes histoires. Enfin bref, j’essaye un peu tous les genres, parce que je suis du genre curieux.
Accessoirement, j’écris des romans déjantés, avec pas mal d’absurde. Pour vous dire le premier était une histoire qui se passait à Paris en 2020 et où intervenaient des inconnus et aussi François 1er et Céline. C’est complètement délirant mais moi, que voulez-vous, cela me fait rire et me détend.
Ce capharnaüm, cela fait un peu brouillon mais que voulez-vous, je déteste l’idée de me spécialiser.

Quelques flashs…
- Vers quinze ans, un monsieur aux cheveux gris, vêtu d’une pelisse de cachemire, tout droit sur son cheval, me demande, à moi qui viens de me faire embarquer sur une piste du champ de course avec un cheval dont je m’occupais en tant que lad « A qui appartenez-vous jeune homme ?». Le ton était sec. On aurait pu croire que c’était Louis XV qui m’interrogeait. Non, lui, c’était le baron de Rothschild.

- Vers la même époque, une dame délicieuse m’avait progressivement rempli un saladier de billets de 10 francs en guise de pourboire pour emmener sa toute petite fille se balader à cheval en longe sur la plage. Bon, le fait que quelques années plus tard cette gentille maman avait dû faire pas mal d’années de prison pour avoir fait assassiner son gendre ne pouvait pas me poser de problèmes. A l’époque, je ne voyais que mon saladier qui se remplissait, se remplissait…

- Une année plus tard, le président Senghor à qui je venais de servir un Schweppes me donne un billet de 500 francs (à l’époque c’était des francs) en guise de pourboire. Il ajoute sans rigoler : J’espère que cela ira, je n’ai jamais rien compris à l’argent français…

- Et puis quoi encore... ? Ah oui, toujours vers cet âge-là, il a fallu que je porte ma grand-mère dans un ascenseur, avec l’aide d’un ambulancier, pour la ramener chez elle. Un détail : elle était morte depuis déjà quelques heures…

- Juin 1970, je n’ose pas dire à la banque qui veut m’embaucher que je sortais de la fac. Ce que je voulais, c’était me mettre au travail. Alors je postulais pour n’importe quel poste. Les études, cela aurait fait curieux. Ils ont voulu me recruter sur une dictée. J’avais quand même une licence en lettres… J’ai fait volontairement quelques fautes. Il faut ce qu’il faut (en fait, j’en fais encore aujourd'hui…). Ils ont bien voulu de moi mais c’est une autre banque qui m’a pris. Cela a duré 10 ans. A celle-là, j’avais dit la vérité. Enfin pas tout. J’ai menti sur mon service militaire. Quand il a fallu partir, comme j’avais travaillé avec un certain acharnement, j’étais déjà cadre d’un niveau très correct. Là-bas, ils sont tombés des nues. Ils n’avaient jamais vu cela. Heureusement, tout s’est terminé à l’hôpital Percy dans le pavillon des malades mentaux. Mon service a dû durer une petite semaine. Un secret : en fait, je ne suis pas si fou que cela.

- Plus tard, dans la banque où je travaillais, je me permets devant un public d’une centaine de personnes rabaisser le caquet à un monsieur qui avait été directeur du trésor, secrétaire général de l'Élysée et d’autres choses encore que je ne vous dirai pas. Je crois qu’il a fait « Oups ». Vers cette époque-là, j’ai indirectement participé, mais en tout cas parfaitement compris un petit montage financier qui avait permis à une grande famille d’industriels de ramener en France une partie de sa fortune. L’ingénierie financière, c’est beau comme de la poésie !

- Cela est absolument sans rapport avec le fait qu’on ait retrouvé celui qui fut mon patron pendant 10 ans dans une forêt près de Paris avec une balle dans la tête. Ce sont, après tout, des choses qui arrivent.

Il y a sûrement d’autres choses, mais là, cela ne me vient pas. Et puis, il ne faut pas exagérer. Tout le monde a eu des petites aventures dans sa vie.


Interview de l'auteur

Quand avez-vous commencé à écrire ?
Assez jeune. Fin d’adolescence sans doute, comme beaucoup de gens qui ont aimé lire. C’est comme un truc que l’on attrape sans doute. J’ai écrit des poèmes bien sûr au début. Puis des nouvelles. Je crois que j’ai cessé lorsque je suis entré dans le monde du travail. J’ai dû mettre beaucoup d’énergie pour sortir de la masse. Mais cela a été payant. J’ai pu reprendre un peu l’écriture une fois ma carrière et ma famille bien en place. J’avais appris étant jeune que la précarité, même relative, même seulement crainte, gâchait un peu la vie.

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
A présent je suis retraité, j’écoute beaucoup. Je regarde, je m’intéresse un peu à tout. Je suis généraliste et fier de l’être. (Pas de méprise, je ne suis pas médecin). Donc, j’y vois un rapport,  je suis très curieux des choses et des gens.  Alors mes sources  sont sans doute multiples. Je préserve aussi pas mal de temps pour « rien ». C’est-à-dire que mes pensées se baladent pour que parfois me vienne une idée. Il en sortira quelque chose ou pas. Et puis ça continue, ça tourne. Parfois j’avance un peu plus, mais je peux laisser tomber. Si elle vaut quelque chose cette idée, elle finira bien par ressortir. Cela se modèle doucement dans ma tête, comme un vin qui se bonifie au fond de la cave sans que l’on s’en aperçoive.
Pour les sources, je dois préciser toutefois que j’ai deux « profils ». L’un a écrit des choses comme le Legs.  L’autre des choses bizarres, un peu loufoques ou saugrenues. Je dis déjantées quand j’en parle. Alors ce profil-là s’inspire plutôt de l’actualité et de la politique.

Une lecture fondatrice ?
Vraiment fondatrice, c’était très jeune, en Normandie, un énorme et vieil exemplaire des Misérables. Après il y a eu le coup de foudre pour Le voyage au bout de la nuit.

Exercez-vous une autre profession ?
L’écriture n’est pas pour moi une profession. Mais elle est plus qu’un simple loisir. Je suis à présent retraité dans le sud-ouest. Ma vie professionnelle s’est faite à Paris où Je travaillais dans le secteur bancaire.
Donc pas d’autre profession, mais d’autres loisirs, oui.

Quels sont vos meilleurs souvenirs d’auteur ?
Déjà, je répugne à me qualifier d’auteur. J’écris c’est vrai et même beaucoup, mais Le Legs sera mon premier roman édité par « un vrai éditeur ». Le reste, que j’aime pourtant parfois beaucoup, est paru en auto-édition faute d’avoir rencontré l’intérêt des maisons d’édition. Est-on vraiment un auteur si on est peu lu ? Vaste débat.
Mais si on admet le terme d’auteur, je pense que mes meilleurs souvenirs sont les moments où l’écriture devient trop lente pour le rythme de la pensée. Tout s’emballe, l’histoire vous entraîne, les personnages vous jouent des tours. Et puis il y a aussi lorsque  je considère avoir mené à bien un roman. On se dit « ça y est, je l’ai terminé et franchement, à moi, il me plaît bien ».

Quel a été votre plus grand bonheur littéraire ?
La découverte de L.F. Céline et celle de M.Proust. Bon après j’ai d’autres tendresses : V. Woolf,  M. Duras, H. Montherlant, W. Faulkner, et puis Russel Banks, J. Irving… et puis quand même pas mal d’autres. Tous morts.

Quels sont vos projets d’écriture ?
D’abord mes perspectives : outre Le Legs, Les éditions Nouvelle Bibliothèque vont publier, en juin prochain, La montre à complications. Un policier. Peut-être un peu spécial, parce que j’aime bien parler d’un peu tout, mais un policier quand même. Ou à peu près.
Et puis pour l’avenir j’ai terminé deux « choses ». La première n’a pas pour l’instant séduit de maison d’édition. C’est dommage, je l’apprécie beaucoup sans doute parce que j’ai eu beaucoup de plaisir à l’écrire. Cela s’appelle La théorie des flaques. La seconde « circule » dans plusieurs endroits… On verra bien. Cela s’appelle Le cri, une allusion à E. Munch. Enfin, j’ai bien sûr quelque chose en route. Comme je le disais, j’écris beaucoup.

Un mot de la fin ?

Faire passer à des lecteurs inconnus deux ou trois heures émouvantes ou joyeuses, selon le livre, voilà ce qui m’intéresse.  



Pour aller plus loin

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Retrouvez les autres chroniques des ouvrages des Éditions Nouvelle Bibliothèque :
Terminus
So long, Alice
Killarney 1976

Amer Noir : le jour où j'ai tué Staline
* La petite fiancée de la Grande Guerre
* Grand froid

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