18 janvier 2019

Chronique : Comme un roman de Daniel Pennac (folio)

Un texte qui frappe fort dès le départ :
« On est prié (je vous supplie) de ne pas utiliser ces pages comme instrument de torture pédagogique. »
Nous nous plongeons donc sans intention particulière, et sans projet d’aucune sorte, dans la lecture de Comme un roman, mais toutefois avec cette délectation de la liberté acquise grâce aux injonctions de l’auteur ; et nous ne sommes pas déçus, car il faut savoir lire sans arrière-pensée, sans idée préconçue, sans projet ultérieur, ou, dirait-on dans certains milieux sans intention de récupération… !
La lecture doit être une immersion dans l’inconnu, un acte « gratuit », comme peut l’être l’écoute de la musique. Les mots ont le pouvoir - même écrits - de disparaître, comme les notes, emportés par les caprices imprévisibles de notre mémoire : et c’est tant mieux !
Il faut savoir laisser entrer en nous la grâce d’un univers que nous n’avons pas choisi, et qui nous marquera, en dépit du temps, en dépit des lectures à venir, qui l’estomperont et nous en éloignerons, inévitablement, souvent cruellement.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Les mots de Lavoisier peuvent s’appliquer à la littérature qui n’est qu’un vaste chantier de reconstruction, comme l’est la nature, mais guidée par le paysage intérieur de celui qui tient la plume, maître d’œuvre de nos évolutions dans un monde où il a choisi de nous entraîner malgré nous, pris par le vertige de la narration. Le roman avance et nous isole de la réalité parfois accablante. Laissons-le nous entraîner, nous perdre, pour mieux reprendre pied dans le réel, régénérés, renforcés. Car c’est là la véritable vocation de la littérature. Nous donner la force de vivre.
Comme un roman est donc une ode à la littérature, mais aussi un pamphlet contre nous, les adultes, qui corsetons souvent la lecture et détruisons sans en avoir conscience les velléités de lire de nos enfants. Ne mettons pas de bornes. Ne leur imposons rien. Exprimons seulement notre passion : ce sera suffisant !
Et puis, lisons, devenons conteurs :
« … c’était un moment de communion, entre nous, l’absolution du texte, un retour au seul paradis qui vaille : l’intimité. » (Page 36)
« En somme, nous lui avons tout appris du livre en ces temps où il ne savait pas lire. Nous l’avons ouvert à l’infinie diversité des choses imaginaires, … Ainsi découvrit-il la vertu paradoxale de la lecture qui est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens. » (Page 19)
Mais comment donner envie de lire ?
« Il faut lire, il faut lire…
Et si, au lieu d’exiger la lecture le professeur décidait soudain de partager son propre bonheur de lire ?
Le bonheur de lire ? Qu’est-ce que c’est que ça, le bonheur de lire ?
Questions qui supposent un fameux retour sur soi, en effet !
Et pour commencer, l’aveu de cette vérité qui va radicalement à l’encontre du dogme : la plupart des lectures qui nous ont façonnés, nous ne les avons pas faites pour, mais contre. Nous avons lu (et lisons) comme on se retranche, ou comme on s’oppose.  […]
Chaque lecture est un acte de résistance. De résistance à quoi ? A toutes les contingences. […]
Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même. » (Pages 90-91)
Au bout du compte la lecture est un acte solitaire.
« La lecture, acte de communication ? Encore une jolie blague de commentateurs ! Ce que nous lisons, nous le taisons. Le plaisir du livre lu, nous le gardons le plus souvent au secret de notre jalousie. […] avant d’en pouvoir dire un mot, il nous faut laisser le temps faire son délicieux travail de distillation. […]
Pourtant, si la lecture n’est pas un acte de communication immédiate, elle est, finalement, objet de partage. Mais un partage longuement différé et farouchement sélectif. » (Pages 93 et 96)
Il ne nous faut pas oublier « qu’un roman raconte d’abord une histoire. » (Page 129) et que les jeunes lisent peu parce qu’ils ont peur de ne pas comprendre, peur de la durée de lecture (qu’ils ressentent comme une « éternité »)
« La lecture ne relève pas de l’organisation du temps social, elle est, comme l’amour, une manière d’être.
La question n’est pas de savoir si j’ai le temps de lire ou pas (temps que personne, d’ailleurs ne me donnera), mais si je m’offre ou non le bonheur d’être lecteur. » (Page 137)
Nous conclurons avec la liste des droits imprescriptibles du lecteur
Le droit de ne pas lire.
Le droit de sauter des pages.
Le droit de ne pas finir un livre.
Le droit de relire.
Le droit de lire n’importe quoi.
Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible)
Le droit de lire n’importe où.
Le droit de grapiller.
Le droit de lire à haute voix.
Le droit de nous taire.
Qu’ajouter à ces mots frappés au coin du bon sens ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.