31 octobre 2022

Chronique littéraire : Femmes en colère de Mathieu Menegaux (Grasset, Le Livre de Poche).

Résumé 
Cour d’Assises de Rennes, juin 2020, fin des débats (auxquels le lecteur n’a pas assisté) : le président invite les jurés à se retirer pour rejoindre la salle des délibérations. Ils tiennent entre leurs mains le sort d’une femme, Mathilde Collignon. Qu’a-t-elle fait ? Doit-on se fier à ce que nous apprennent les délibérations à huis-clos, ou à ce que révèle le journal que rédige la prévenue qui attend le prononcé du jugement ?
Accusée de s’être vengée de manière barbare de deux hommes ayant abusé d’elle dans des circonstances très particulières, Mathilde Collignon ne clame pas son innocence, mais réclame justice. Son acte a été commenté dans le monde entier et son procès est au cœur de toutes les polémiques et de toutes les passions. Trois magistrats et six jurés populaires sont appelés à trancher. Doivent-ils faire preuve de clémence ou de sévérité ? Vont-ils privilégier la punition, au nom des principes, ou le pardon, au nom de l’humanité ? Avoir été victime justifie-t-il de devenir bourreau ?

Nous plongeons en apnée dans cette salle des délibérations d’un jury de cour d’assises. Neuf hommes et femmes en colère qui projettent sciemment ou inconsciemment sur l’écran de cette affaire le film intérieur de leur propre existence…

Notre chronique
Ce roman alterne la voix de la protagoniste, Mathilde, qui attend son jugement, et celle du narrateur qui nous livre les débats des jurés, de la Cour. 
A l’origine victime d’une nuit de cauchemar avec viols répétés et sévices, c’est elle qui se retrouve aujourd’hui au banc des accusés pour s’être rebellée et être allée très loin dans la vengeance, se transformant en criminelle à son tour, avec des charges très lourdes : « torture et barbarie ». Mais qui sont les barbares, et comment juger son geste ? C’est la question que pose ce livre, avec beaucoup de subtilité et sans manichéisme, éclairant tous les recoins de ce procès exemplaire (comme l’a été le châtiment hautement symbolique choisi par Mathilde, mutilation utilisée depuis le Moyen-âge et même l’Antiquité), exposant les pensées de tous les protagonistes – jurés aux avis souvent opposés, membres de la Cour, public à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audience et elle-même bien sûr, dans l’angoisse de l’attente du verdict... —, nous donnant à voir tous les tenants et aboutissants d’un moment de justice. De justice, vraiment, ou de sa parodie ? Alors qu’il faut encore revivre l’enfer un nombre incalculable de fois, en butte à la suspicion, à la dérision, et à l’effroi suscité par sa riposte ? C’est bien parce qu’elle a pensé qu’elle n’obtiendrait jamais d’être prise en compte qu’elle en est là aujourd’hui, se faisant, par son acte terrible, la championne de toutes les femmes violées, de toutes les victimes d’inceste, et aussi de toutes celles qui battues, meurtries, maltraitées. Elle est l’implacable revanche de toutes celles qui n’ont été ni entendues, ni crues, ni protégées, ni vengées, pendant trop longtemps. En colère, oui, depuis que la résignation perd du terrain, que la peur et surtout la honte ont « changé de camp ». 
Comment un jury populaire, vous, nous, tout le monde, va-t-il réagir ? Que déciderions-nous ? Qu’aurions-nous fait à la place de Mathilde, dont l’existence, comme celles de tant d’autres, a été ravagée, le plus souvent en toute impunité ou presque pour ses bourreaux ? Et avait-elle le droit de devenir bourreau à son tour, et de rendre et exécuter elle-même la sentence ?
Ce livre, qui n’oublie aucun aspect, met en garde contre la nouvelle puissance des réseaux sociaux (qui ont démultiplié pour le meilleur et pour le pire la notion d’opinion publique et son impact), et son rôle à double tranchant : ils font bouger les lignes positivement, mais ils condamnent aussi, sans autre forme de procès, justement, et c’est là que le bât blesse : un état de droit a besoin de son arsenal législatif et judiciaire (d’ailleurs en constante évolution), de rituels précis et de solennité, de professionnels aussi rompus à ne pas se laisser gagner par l’émotion, souvent mauvaise conseillère. Il rappelle que la notion de légitime défense et même de réparation doit être strictement encadrée, sinon c’est le lynchage (et on parle bien de lynchage médiatique, ce n’est pas un hasard) qui revient, de sinistre mémoire et indigne d’un pays qui se veut civilisé. Et que la tentation de s’ériger en justicier est répréhensible (y compris du côté de l’institution).
Pour autant Mathilde est-elle condamnable ? Faut-il l’absoudre ou la punir ? Au moins, essayer de la comprendre, c’est son plus grand souhait face à ce tribunal qu’elle n’a jamais essayé d’éviter. Quel camp choisirions-nous, chacun et chacune ? 
Nous serons tenus en haleine jusqu’au bout, jusqu’à la décision finale qui mettra peut-être toutes les parties d’accord. Avec beaucoup de minutie et d’humanité, l’auteur se range aux côtés de toutes les femmes bafouées, et aussi de tout citoyen qui mérite une procédure équitable. Qu’il en soit remercié.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.