Triboulet fut le difforme et volubile bouffon de Louis XII et François Ier. À travers sa vie de frasques et de facéties, il testa chaque instant les limites de sa liberté. Jusqu’à… la blague de trop.
Le pouvoir tolère-t-il vraiment le rire ? Lorsqu’elle est permise par un roi, l’irrévérence fait-elle révérence ?
L’ascension et la chute de Triboulet, racontée par un bouffon du XXIe siècle.
Notre chronique
Un roman historique, qui se passe pendant la Renaissance, lu d’une traite. Divertissant, passionnant, et superbement écrit. Un héros fascinant et attachant qui, bien qu’appelé « le fou du roi », est assez malin pour rejoindre la cour et y faire sa place grâce à sa très grande intelligence. C’est d’ailleurs lui qui est au centre de cet ouvrage (même si le titre évoque avant tout le roi, François Ier) et qui, avec ses réparties qui font mouche, son bon sens et ses bons mots, son humour habile, devient un bouffon très apprécié. Des deux rois successifs, et de nous, lecteurs ! À l’aide aussi d’un formidable appétit de culture et de lecture (dont un intérêt particulier pour l’Éloge de la folie d’Érasme), et d’une remarquable finesse psychologique lui permettant de sentir jusqu’où « ne pas aller trop loin. » Car sa vie même en dépend...
« Pourtant rompu à l’exercice, je ressentais chaque boutade comme un saut dans le vide. La mécanique comique ne souffrant d’une approximation, j’expérimentais l’orfèvrerie au service du calembour. Un bafouillage et l’effet est raté, une hésitation et la magie s’envolait. Pire, de grands périls guettaient chaque saillie : le déshonneur, l’oubli, la mort. Car il ne s’agissait pas d’égayer n’importe qui, mais le roi François, premier du nom ; de larges épaules, un nez plongeant et un corps massif qui dominait le royaume de France depuis près de deux décennies. »
« Divertir sans glisser. Chercher la limite, le point d’équilibre entre le rire et l’offense. Entre la grâce et l’abîme. »
Il questionne la notion même de folie : on a vite fait de taxer de « fou » celui qui ose dire la vérité, par candeur, sincérité, ou s’y sentant autorisé (comme les enfants...), y compris au prétexte de faire rire. Mais sa clairvoyance et sa franchise sont nécessaires à la santé mentale, justement, de celui qui, sans cela, vivrait sans cesse dans un univers irréel de trompe-l’œil idéalisés, de faux-semblants flatteurs et de duperies hypocrites. Il est le scrupule de conscience (« Triboulet » vient de « tribouler », « tarabuster », « malmener ») et le miroir caricaturé, mais sans retouches des puissants de ce monde, qui ont besoin par moments de ce rappel à la réalité, sauf à y perdre la raison (car trop éloignés du réel). Que l’on peut rapprocher du « Jour des Fous » où les rôles étaient inversés, et cela depuis la plus haute Antiquité, et nous en avons un exemple dans ce magnifique ouvrage. Cette double fonction d’amuser tout en ramenant à une certaine humilité est d’une telle importance que les dieux mêmes de l’Olympe avaient leur bouffon, c’est dire si depuis toujours il est indispensable à un certain équilibre, en dépit des disparités et des injustices qu’elle dénonce. Et, finalement, malgré l’impertinence, au maintien de l’ordre établi. Une figure très ambivalente, salubre, mais aussi soupape de sécurité qui empêche l’explosion. Difforme, bossu, raillé, il possède ce que les Grands, les Importants (de la cour) n’ont plus, ou n’auront jamais, trop occupés à se faire la guerre, à se livrer à des massacres absurdes et inhumains, à s’attirer les faveurs du Roi (y compris par les moyens les plus vils), à souscrire à leurs innombrables obligations : l’extraordinaire pouvoir de la liberté d’expression. À ses risques et périls, et en cela, il ressemble à tous ceux qui disent les choses comme elles sont, même sous le couvert du divertissement.
Un livre qui nous fait réfléchir et nous fait découvrir la cour de François Ier sous un nouveau jour, grâce au talent de l’auteur et de son personnage principal, tellement attachant, qui nous parle encore aujourd’hui. À découvrir !
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