Résumé
Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame. À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c'est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l'amour et de l'éducation, des rapports de domination et d'argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.
L'auteure
Leïla Slimani est née en 1981. Elle est l'auteure d'un premier roman très remarqué, Dans le jardin de l'ogre ("Folio" numéro 6062), paru en 2014 dans la collection blanche.
Notre chronique
Roman magnifique et terrible à la fois, écrit de main de maître, dans un style aussi doux, simple, et direct que le titre. Mais il s’agit d’une douceur trompeuse, d’une berceuse terrifiante, d’une comptine qui fait froid dans le dos... Qui nous rappelle « Chronique d’une mort annoncée » (et aussi la structure narrative de « De sang-froid » de Truman Capote, puisque l’on sait dès le départ que le drame a eu lieu), décrivant une déchéance qui ne pourra mener qu’à la perte de repères, une solitude insupportable, une folie presque indiscernable. Hélas, les parents font confiance à des ressentis, se laissent abuser par des apparences extrêmement flatteuses, et ne s’inquiètent pas alors que des indices inquiétants s’accumulent, jusqu’au désastre final. Un livre qui s’attache aux causes de ce passage à l’acte, de ce dérapage irrémédiable qui détruit la vie d’un foyer. Malheureusement avec ses logiques profondes… Les causes, les logiques ? : extrême pauvreté, clash culturel, différences de classes, humiliations continues et inconscientes (les « patrons » étant plutôt bienveillants — on pense aux « Bonnes » de Jean Genet quand la sauvagerie se déchaîne et qu’on reste incrédule —. Jalousie sociale et jalousie tout court, maternelle aussi, les rapports mère-nourrice peuvent être bien pervertis, la lutte pour l’affection des enfants un enjeu malsain. Et, plus que tout peut-être, la quête d’une place à soi, d’un abri sûr et légitimé d’où l’on ne pourra être délogé, d’une place dans les cœurs également à force de se rendre nécessaire... Une recherche d’amour pathétique et méconnue, immense, et qui dégénère parce que l’insécurité est trop forte... parce que tout peut basculer à tout moment, Louise restant une employée dont on peut « disposer » [jusqu’à l’anglicisme : « jeter »] à son gré. C’est à cette incertitude violente, insupportable, que répond le geste d’une femme discrètement désespérée, et qui laisse tout le monde frappé d’horreur. Je pense que Louise tue, symboliquement, l’avenir de cette famille parce qu’elle-même n’en a pas. Rien en propre.
Autant de motivations ténébreuses que l’auteure nous donne à explorer, à défaut de les comprendre ou de les excuser, même si, bien sûr, la coupable fait pitié. Et l’on pleure aussi sur elle, comme on pleure sur les petites victimes et les malheureux parents. Qui n’ont rien pu ou voulu deviner ? À qui nous avons à maintes reprises envie de crier « Attention, danger ! Ouvrez les yeux, réveillez-vous ! Tant de perfection cache quelque chose. »
La littérature anglo-saxonne nous a familiarisés avec des personnages dévoués jusqu’au crime et, tragiquement, des faits divers terribles nous interpellent également trop souvent sur la confiance que nous pouvons accorder aux personnes qui s’occupent des êtres que nous chérissons le plus.
Un ouvrage puissant, épouvantable, saisissant de la première à la dernière ligne, servi par un style aussi feutré qu’implacable. Magistral.
Pour aller plus loin
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Gabriel et Marie-Hélène.