Dans cette nouvelle, superbement adaptée au cinéma par John Huston en 1975 – avec Sean Connery alors débutant ! –, on retrouve toutes les thématiques chères à Rudyard Kipling : amour de la nature, goût de valeurs viriles dans un univers non exempt de misogynie où les femmes sont « naturellement » un ferment de division et de trahison (il faut dire que Kipling fut vite désenchanté d’un mariage « ornière » et que seule la reine Victoria trouvait, paraît-il, grâce à ses yeux...), apparente foi dans le système colonial de son époque.
L’auteur déploie son génie narratif au service d’un récit picaresque et intrigant : deux vauriens en quête de gloire et de richesse, réussissent à devenir maîtres quelque temps d’une peuplade éloignée de tout, à force de ruses, de faux-semblants et du bon vieux principe du « diviser pour régner ».
Abusant de la crédulité des habitants, audacieux et astucieux (ils vont jusqu’à se faire passer pour des dieux), l’ivresse du pouvoir montera à la tête de nos deux héros et finira par causer leur perte.
Ce scénario, en apparence farfelu, puise dans des réalités de l’époque : nous sommes en 1888, des aventuriers de tous poils, hors la loi pour la plupart dans leurs pays d’origine, tentent leur chance dans les confins les plus reculés d’un empire britannique à son apogée – les territoires vierges et inexplorés ne manquant pas – où fourmillent de véritables petites dynasties inconnues.
Nos « héros » tentent d’incarner des vertus chevaleresques (ils se jurent fidélité, font vœu de tempérance et de chasteté comme pour un départ en croisade !) et se réclament des idéaux francs-maçons auxquels Kipling adhérait (il avait été militaire) : loyauté indéfectible, stoïcisme, contrôle de soi, fidélité en amitié, le tout profondément imprégné de l’éthos victorien, le code de bonne conduite auquel il était impensable de déroger.
Dès son époque – sans parler de la nôtre avec ses nouvelles grilles d’analyse –, on a accusé Kipling d’être le chantre décomplexé – comme on le dirait aujourd’hui – de l’impérialisme britannique triomphant, empli de paternalisme, de bonne conscience et de préjugés de caste. À bien y regarder, ce texte suggère sans doute autre chose... Ne s’agit-il pas ici plutôt d’une condamnation subtile et prémonitoire d’un système colonial qui ne trouve pas ses limites et court vers l’abîme ? D’une réflexion sur l’avidité des hommes qui en veulent toujours plus ?
L’extraordinaire talent de conteur de Kipling, son style sans artifice, son humour décalé, désabusé, se retrouvent ici réunis avec une remarquable efficacité d’écriture. Un grand bonheur de lecture.
Pour aller plus loin
Interview sur Rudyard Kipling - émission Histoires et découvertes d'i24news (Valérie Pérez).
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Gabriel et Marie-Hélène.