Résumé de l’éditeur
On part pour se retrouver. Ainsi, quand Hermann Hesse entreprend ce court voyage à Nuremberg, quelques années après la Première Guerre mondiale, des rêves anciens, des images de son enfance remontent à la surface et troublent la vision du paysage actuel. Il se laisse guider par son âme, pour faire résonner un monde profond, enseveli sous les apparences du progrès : car nous n’avons rien à apposer à l’ancienne culture et ne pouvons que constater la destruction de celle-ci par une technique sans âme. C’est notre désastre contemporain.
Notre chronique
J’ai adoré ce récit intime, méditatif, profondément mélancolique, entre carnet de route, autoportrait et essai philosophique.
Quelques années après la Première Guerre mondiale, Hermann Hesse entreprend ce voyage à Nuremberg, qui est également un périple intérieur et c’est en cela qu’il est le plus intéressant. Ce n’est pas tant la ville qu’il visite que les vestiges de son propre passé, de cette culture européenne en ruines.
Hermann Hesse regarde le monde moderne avec cette ironie amère des humanistes désenchantés. Les gares, les casernes, les usines sont des temples dégradés d’un culte de la vitesse et de l’utilitarisme.
« Tous ces lieux étaient d’une grande beauté, mais ils étaient à présent cernés par la grande ville affairiste, froide et triste, par le bruit des moteurs pétaradants, par les files de voitures. Tout frémissait légèrement au rythme d’une époque nouvelle. Mais cette époque ne construisait pas de voûtes sur croisées d’ogives et ignorait l’art d’orner les cours silencieuses de fontaines aussi gracieuses que des fleurs. Tout semblait prêt à s’effondrer dans l’heure suivante, car plus rien n’avait de sens ni d’âme. »
L’auteur s’y promène en humoriste au sens noble du terme, celui que Nietzsche appelait « le plus lucide des pessimistes ». Avec cette lucidité grinçante, Hermann Hesse constate que les souffreteux ont inventé l’humour pour supporter malgré tout leur existence pénible et même l’exalter.
« Une fois de plus, je sentais violemment s’opposer en moi deux pôles de ma personnalité, je sentais osciller les passerelles aériennes au-dessus de l’abîme qui sépare le réel et l’idéal, la réalité de la beauté ; passerelles créées par l’humour. Oui, c’était cela ; grâce à l’humour, on pouvait endurer cette situation, on pouvait même supporter l’existence des gares, des casernes, des conférences littéraires. En riant, en refusant de prendre au sérieux la réalité, en ayant constamment en tête sa fragilité extrême, il devenait possible de vivre. »
Cette promenade désabusée est aussi celle d’un amoureux du beau, de ces quelques îlots minuscules où s’élèvent de vieux édifices, réchappés du désastre esthétique. Il y a là quelque chose de proustien : cette quête éperdue d’un temps perdu et d’une sensation qui, parfois, par la grâce d’un lieu, d’une conversation entre amis ou d’une solitude assumée, redonne à la vie son éclat. Lorsque nous nous demandons si notre existence difficilement supportable a un sens, l’espace d’un court moment de grâce nous suffit pour dire oui.
Le Voyage à Nuremberg est enfin un plaidoyer discret pour la lenteur et la gratuité du temps vécu. À rebours de notre société où le temps est de l’argent, l’auteur revendique ce droit de prendre son temps, de flâner, de méditer, de converser.
Un ouvrage à lire avec émerveillement !
« Les gens comme nous se contentent de peu, mais exigent uniquement du meilleur. Lorsque nous nous demandons si notre existence difficilement supportable a un sens, l’espace d’un court moment de grâce nous suffit pour dire oui, alors que nous sommes tenaillés par les souffrances, le désespoir et le dégoût de vivre. C’est assez pour nous, même si dans le moment qui suit, tout est à nouveau recouvert par des flots sombres. C’est dans cette réponse que nous puisons la force de continuer à vivre une nouvelle longue période, non pas en endurant l’existence, mais en l’aimant et en l’exaltant. »
Je conclurai avec les mots de l’auteur :
« La feuille de l’arbre résiste au vent, mais finit par suivre la direction qu’il a choisie. »
Pour aller plus loin
Monsieur Proust de Céleste Albaret
Les Essais de Montaigne
Le Curiste
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