09 mai 2022

Chronique littéraire : Les Essais de Montaigne.

Résumé de l'éditeur
Nous devons à André Lanly, éminent philologue et professeur émérite à l'université de Nancy, d'avoir servi l'un des monuments les plus difficiles à déchiffrer de la littérature française en osant lui donner sa forme moderne. C'en est fini des obstacles de l'orthographe, du doute sur le sens des mots, de l'égarement suscité par la ponctuation. Lire ce chef-d'oeuvre devient ici un pur bonheur. "Ce ne sont pas mes actes que je décris, c'est moi, c'est mon essence. J'estime qu'il faut être prudent pour juger de soi et tout aussi scrupuleux pour en porter un témoignage soit bas, soit haut, indifféremment. S'il me semblait que je suis bon et sage, ou près de cela, je l'entonnerais à tue-tête. Dire moins de soi que la vérité, c'est de la sottise, non de la modestie. Se payer moins qu'on ne vaut, c'est de la faiblesse et de la pusillanimité, selon Aristote. Aucune vertu ne se fait valoir par le faux, et la vérité n'est jamais matière d'erreur. Dire de soi plus que la vérité, ce n'est pas toujours de la présomption, c'est encore souvent de la sottise. Être satisfait de ce que l'on est et s'y complaire outre mesure, tomber de là dans un amour de soi immodéré est, à mon avis, la substance de ce vice [de la présomption]. Le suprême remède pour le guérir, c'est de faire tout le contraire de ce que prescrivent ceux qui, en défendant de parler de soi, défendent par conséquent d'appliquer sa pensée à soi. L'orgueil réside dans la pensée. La langue ne peut y avoir qu'une bien lègère part." Les Essais, Livre II, chapitre VI.


Notre chronique 
On dit qu’étudier les classiques à l’école nous en dégoûte. Et pourtant ?
De Montaigne, je me souvenais de bien peu de choses : son amitié avec Étienne de la Boétie. Et puis, il y quelques années de cela, après avoir visité la maison de La Boétie à Sarlat, je me suis dit : et si je lisais Montaigne ?
Un simple souvenir avait provoqué le désir. La vocation de l’école s’en trouvait donc une fois encore amplement confirmée : laisser une empreinte, si ténue soit-elle. J’avais déjà connu cette sensation pour Proust et Rabelais, des auteurs – à l’instar de Montaigne – difficiles, qu’on ne peut lire que lorsqu’on est prêt.
Rabelais, pour en revenir à lui, j’avais eu le courage de le lire dans une version bilingue (L’Intégrale au Seuil), mais, cette fois, pour Montaigne, j’ai choisi la version transcrite en français moderne par André Lanly, la langue de l’auteur étant truffée d’occitanismes et de mots dont le sens a beaucoup évolué, ce qui rend la lecture particulièrement ardue. Cette lecture m’a pris trois mois ! Et quel bonheur ! Quel régal ! J’en ai savouré la moindre phrase.
Mais de quoi parle exactement Montaigne ?
De la peur, de l’amitié, bien sûr, de l’inégalité, de la vanité, des odeurs, de la conscience, de la cruauté, des livres, de la fainéantise, de la colère, de la couardise, de la grandeur, de l’expérience, etc., autrement dit, de l’Homme.
Réfléchit-il aux hommes en général ?
Non. Il parle de lui. Mais, comme il se considère comme un homme ordinaire, il étend légitimement ses conclusions à toute l’humanité.
Est-il vrai – comme il l’affirme incessamment – qu’il n’est qu’une personne aux qualités médiocres ? Évidemment non. Il est au contraire un homme exceptionnel, un homme d’une intelligence extrême, un observateur à l’esprit ô combien affûté (comme Hérodote qu’il évoque souvent).  
Son livre est-il, comme il le prétend à l’envi, une perte de temps pour le lecteur ? 
Bien sûr que non. Il y a là beaucoup de fausse modestie et d’humour, et si Montaigne fait semblant d’attacher si peu d’importance à ses Essais, on sait qu’il les corrigera soigneusement jusqu’aux derniers jours de sa vie.
Michel de Montaigne fut également un homme d’action engagé en politique.
C’est la perte de son ami très cher Étienne de la Boétie (mort de la tuberculose à trente-deux ans) qui l’engagea dans l’écriture, continuant dans ses Essais un dialogue imaginaire qu’il avait pratiqué avec tant de complicité pendant des années avec Étienne. La solitude fut son refuge :
C’est une humeur mélancolique, humeur produite par le chagrin… qui m’a mis en tête cette idée folle de me mêler d’écrire.
L’humanité et son siècle le déçoivent. Il cite souvent l’Ecclésiaste
Sur mille hommes pas un seul de bon. 
Étranges similitudes avec notre époque. Il faut dire qu’on est en pleine guerre de religion, une période plus que trouble.
La sagesse populaire lui parle plus que celle des philosophes : 
La conduite et les propos des paysans, je les trouve ordinairement plus conformes à la prescription de la véritable philosophie que ne sont ceux de nos philosophes.
Malgré tout, ces philosophes de l’antiquité, il les connaît sur le bout des doigts, en particulier les stoïciens (il cite le plus souvent Sénèque et Cicéron), ce qui est une source de richesse pour nous lecteurs du vingt et unième siècle qui avons perdu ces références si naturelles à la Renaissance. 
Et il aime par-dessus tout les animaux bien que son cheval ait failli le tuer au cours d’un épisode célèbre raconté dans le livre :
Il y a un certain égard et un devoir général d’humanité qui nous attachent non seulement aux bêtes qui ont vie et sensibilité, mais aux arbres eux-mêmes et aux plantes.
En observant la vie, Montaigne considère qu’il faut se détacher de tout intellectualisme, qu’il faut suivre la nature, avec simplicité, le corps et l’esprit n’étant qu’un.
La méditation est une étude puissante et riche pour qui sait s’explorer et s’employer vigoureusement à se connaître : j’aime mieux façonner mon esprit que le meubler.
On lui a quelquefois reproché d’être conservateur. Il y a pourtant tant de hardiesse dans sa pensée !
Il ne faut pas tomber dans ce piège, si fréquent aujourd’hui, qui consiste à évaluer les hommes et les femmes du passé avec le prisme de nos principes modernes. Les femmes justement, voilà ce qu’il en dit :
Les femmes n’ont pas tout à fait tort quand elles refusent les règles de vie qui sont en usage dans le monde parce que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles.

Pour aller plus loin

Correspondance de Cicéron (Les Belles Lettres)

Correspondance de Cicéron - chronique humoristique

La nature des dieux de Marcus Cicéron (Les Belles Lettres)

Les Devoirs de Marcus Cicéron (Les Belles Lettres)

"Les éditeurs limousins du XVIe siècle à nos jours" à la BFM de Limoges.

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