14 juillet 2025

Chronique littéraire : Le Chant du prophète de Paul Lynch - Lu par Pierre-François Garel (Audiolib).

Description de l'éditeur
À Dublin, un soir de pluie, deux hommes frappent à la porte d'Eilish Stack. Membres d'une toute nouvelle police secrète - le GNSB -, ils demandent à s'entretenir avec son mari, enseignant et syndicaliste, mais celui-ci est absent. Larry se rend au commissariat dès le lendemain, puis disparaît dans des circonstances troublantes.
Tandis que le malaise s'installe peu à peu, Eilish voit son quotidien et celui de ses quatre enfants amputés d'une liberté qu'elle tenait pour acquise. Bientôt l'état d'urgence est déclaré, les rumeurs parlent de camps d'internement...
Prisonnière d'une logique cauchemardesque, jusqu'où devra aller Eilish pour protéger les siens ?

Notre chronique
J’ai enfin « lu » (enfin écouté) un roman de David Lynch et je n’ai pas été déçue ! Un ouvrage magistral, lu par Pierre-François Garel avec une grande sensibilité. 
« La nuit est tombée et elle n’a pas entendu les coups à la porte, elle regardait le jardin par la fenêtre. L’obscurité qui enveloppe les cerisiers sans un bruit. Elle achève de recouvrir leur feuillage et le feuillage ne lui résiste pas, il accueille l’obscurité dans un murmure. La fatigue, la journée tirant à sa fin et tout ce qui lui reste à faire avant d’aller dormir, les enfants réunis au salon, ce sentiment de paix qu’elle éprouve fugacement devant la vitre. Contempler le jardin gagné par l’ombre, et ce désir en elle de s’unir à l’obscurité, de sortir s’étendre à ses côtés, reposer près des feuilles mortes et laisser couler la nuit, ne se réveiller qu’à l’aube et se lever régénérée avec le matin. S’il n’y avait pas ces coups à la porte. Elle les entend se loger dans sa conscience, la brusquerie, l’insistance qu’il y a dans ces coups, chacun semble si rempli de la présence de celui qui frappe qu’elle fronce les sourcils.  » (Incipit)
Le Chant du prophète de Paul Lynch m’a immédiatement happée par ses thématiques (liberté, famille, autoritarisme) et la voix d’Eilish si troublante, si terre-à-terre, puis poétique. 
« La lumière sur le rivage, ce moment de clarté, pense-t-elle, la journée s’écoule en rassemblant toute la lumière avant de la déverser dans la nuit, et nous avons beau tendre la main, nous ne pouvons pas atteindre le temps qui passe ni le toucher ni nous en saisir, ce n’est qu’un rêve. »
C’est d’ailleurs ce que j’ai le plus apprécié dans ce roman bouleversant : l’alternance entre les faits, les pensées de la protagoniste, ses rêves, ses réflexions, l’urgence qu’elle ressent sans cesse de faire quelque chose, et les descriptions poétiques de la nature, d’un monde perdu dont elle prend conscience… La grande force du Chant du prophète réside dans ce regard intime et féminin d’une mère qui se débat pour protéger ses enfants. 
« … et elle comprend que le bonheur se niche dans ce qui relève de l’ordinaire, qu’il réside dans les mouvements quotidiens comme s’il devait rester invisible, telle une note qui demeure inaudible tant qu’elle ne résonne pas depuis le passé… »

 Paul Lynch emprunte aux dystopies réalistes de Margaret Atwood et de George Orwell le vertige d’un monde où l’on cesse d’appeler les choses par leur nom. La phrase : « Si l’on prétend qu’une chose en est une autre et qu’on le répète assez longtemps, eh bien elle finit par le devenir » résonne étrangement dans une époque où l’on modèle les faits à coups de storytelling politique et de fake news. Elle nous rappelle également la base du monde de 1984. La montée du populisme est également évoquée sans dogmatisme.

L’écriture de Lynch épouse le flux de conscience d’Eilish : phrases longues, dialogues noyés dans la prose, images poétiques saisissantes, tel ce jardin que la nuit dévore « dans un murmure ».

La construction du texte est une expérience sensorielle, oppressante et haletante, et ceci est parfaitement rendu par la lecture de Pierre-François Garel : pas de répit, pas d’alinéa… : le lecteur est lui aussi enfermé dans l’étau qui étouffe les personnages.

La fuite d’Eilish, contrainte d’abandonner une vie qu’elle ne voulait pas voir disparaître, entre en résonance avec le destin de milliers de déplacés qu’on croit lointains.
« (…) croire que l’on assistera à la fin du monde n’est que vanité, ce qui s’achève en vérité lors de la catastrophe finale, c’est notre vie et rien d’autre, le chant du prophète dit toujours la même chose, un chant identique répété de siècle en siècle, le tranchant de l’épée, le monde dévoré par les flammes, le soleil qui sombre en plein midi, la furie d’un quelconque Dieu s’incarnant dans la bouche du prophète qui s’emporte contre l’iniquité à abattre, ce n’est pas la fin du monde que chante le prophète, mais le sort de certains d’entre nous, autrefois, aujourd’hui ou dans les temps à venir, le sort de certains et non de tous, il dit qu’à chaque moment le monde s’achève en un lieu et nulle part ailleurs, la fin du monde est toujours un événement circonscrit, elle arrive dans votre pays, entre dans votre ville et frappe à votre porte, mais elle n’est pour les autres qu’une vague menace, un bref compte rendu dans un bulletin d’information, l’écho d’événements transformés en récit (…) »
Un texte nécessaire, inconfortable, qui nous rappelle que la vigilance n’est jamais superflue. La professeure et lectrice que je suis ne peut que recommander ce livre.
#LeChantduprophète #NetGalleyFrance

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Gabriel et Marie-Hélène.