26 juillet 2022

Guest writer : chronique de Sylvie Guérin - Le silence des mouches de Jimmy Trapon.

Résumé 

Voiture 15. Place 52.

Un quarantenaire cafardeux se retrouve à devoir prendre un train reliant Paris à Nantes. Rempli de doutes sur ce voyage, il s’évoque son plus vieux souvenir tout en se replongeant dans les grandes lignes de son histoire.

Une gamberge pleine d’angoisse où le sourire de la calanche n’est jamais tellement loin. Des rencontres fantasques. Des retrouvailles inespérées. 24h au sein de la cité des Ducs où nous suivons les pas du narrateur dans son errance alcoolisée.

Une immersion qui réveillera les hurlements passés. Et le silence des mouches.


Chronique de Sylvie Guérin

Un soir d’orage, je rentre à la maison avec, sous le bras et bien à l’abri de la pluie à peine calmée, Le Silence des mouches (quel titre mystérieux, connoté, magnifique !), recommandé par des amis.

Je tombe en lecture comme on tombe en amour et me prends une gifle. Aïe. Vlan. Oula.

Le manque commence dès la dernière ligne, heureusement je me suis aussi offert l’ouvrage précédent, que je dévore derechef, m’empressant de tendre l’autre joue.

Re-gifle (re-aïe, re-vlan, re-oula, je l’ai bien cherché), de celles reçues quand j’ai découvert Despentes, Houellebecq, Ravalec et quelques autres...

Avec Des nouvelles du Nord de Paname, je pars donc à rebours du parcours du narrateur, comme lui finalement qui dans son dernier livre (vous suivez) part à rebours de sa vie. Alternant un voyage de Paris à Nantes, et d’incessants « Retours vers le passé ».

Bien aussi ce rembobinage pour mesurer une certaine évolution, un certain apaisement...

Bon, je me rassieds dans le train, notre voyageur se rend à un rendez-vous important, semble-t-il...

Pas étonnant que la couverture soit un grand huit désaffecté, une fête foraine laissée à l’abandon : elle est à l’image d’une enfance chavirée, délaissée et pleine de hauts et de bas, où l’on crie très fort pour avoir moins peur. Et où l’on peut éventuellement trouver rigolos ces grands creux à l’estomac. (Littéralement d’ailleurs, car il est aussi question de faims de tous ordres.)

À Nantes il ne pleut pas et notre personnage se hâte, tenaillé par la crainte de ne pas arriver à temps, et assailli par un afflux de souvenirs : une mère mal-aimante (mal-aimée sûrement et on aurait voulu en savoir plus, mais il en sait si peu lui-même... comment alors comprendre ? On ne peut que pardonner à quelqu’un que l’on n’a jamais cessé de chérir malgré tout, ça aide à avancer, même si avancer ça ne l’intéresse pas plus que ça), un père trop effacé qui faisait ce qu’il pouvait, un monde d’adultes le plus souvent très occupés à se battre avec leurs propres problèmes, d’où rayonne une tante épatante, ouf un peu de répit, des endroits aimés qu’il a fallu quitter (heureusement viendra l’ancrage parisien, dans un lien définitif et passionnel), divers avatars de lui-même à des âges variés, et surtout l’équipe des frangins, la fratrie qui tient le coup vaille que vaille, la meute de jeunes loups qui se tient chaud, solidaire et effarée. Petits mousquetaires malmenés, bringuebalés, négligés, incompréhensifs et n’ayant pas leur mot à dire. Avec de jolis moments aussi, il y en a toujours, à ranger dans la malle…

Et les mauvaises expériences, mais-ça-aurait-pu-être-pire… Et l’affection quand même, grognonne, qui peine à s’exprimer…

Retrouvailles de choc, et la langue se fait percutante, secouant le lecteur par le cou avec une sincérité de chaque instant, jusque dans les descriptions de l’intimité du cœur et du corps. 

Et puis les femmes, parlons-en, avec leur immense capacité à prodiguer consolation et repères dans le chaos, mais aussi malentendus trahisons, y compris involontaires, et chagrins. Le plaisir, l’amour, et même des fois on a les deux… avec des conclusions diverses… on le sait, ça finit plus ou moins mal, en général. 

On devine que tout cela est très autobiographique, d’ailleurs peu importe si ce n’est toi, c’est donc ton frère, tout est tellement vrai, bouleversant d’authenticité.

J’apprends que l’auteur chante dans un groupe de métal. Tu m’étonnes. Pour moi, la même rage à vomir les injustices et les absurdités de l’existence (et l’absurdité intrinsèque de l’existence même, d’ailleurs c’est quoi cette paternité qui accorde la vie et la mort du même coup), les mêmes vociférations-conjurations, le même don de soi hors limites, la même tendresse exaspérée, les mêmes constats désabusés. 

La même énergie vitale alors que les gouffres ne sont jamais très loin, prêts à vous engloutir, les maladies innombrables prêtes à s’emparer de vous... On les redoute ô combien, mais c’est très bien ainsi, car si à force de se sentir intrus, perdu, à force de se demander ce qu’on fait là et de chercher sa place on n’en pouvait vraiment plus, il est toujours temps de décider de disparaître…

La « calanche » comme issue de secours, en cas. Comme moyen de supporter la vie. (Dont on parle finalement, comme Brassens, avec une certaine affection. Sauf que là on ne cherche pas à l’amadouer, plutôt le contraire). Mais choisie, le choix, c’est important, toujours, une vraie valeur. (Comme celui de rester ouvert aux autres, affectueux, alors qu’on en a tellement vu de dures). Et puis n’est-ce pas le meilleur moyen de se sentir pleinement vivant, justement ? « Dans la voiture de la mort, nous sommes en vie » nous susurrait Iggy Pop. Et dans les wagonnets du circuit vertigineux, le mélange d’excitation et de trouille à son comble.

Et encore l’alcool, bunker anti-terreurs, pour oublier, pour se souvenir, pour que les laisses de mer sur les rivages après cuites (sévères) puissent servir de matériau au travail littéraire, le véritable exorcisme, la vraie transformation du lourd plomb en or, enfin « le chemin vers soi-même ».  À l’instar des mouches, souvent décriées, témoins silencieux des putréfactions et décompositions de toutes natures, qui trient, recyclent, font œuvre... utile. Nécessaire.

C’est drôle, généreux, percutant, résilient, truculent, inventif, rempli d’amour et pas si désespéré, malgré les galères et les questionnements (j’ai pensé à François Béranger « j’en suis encore me demander, après tant et tant d’années, à quoi ça sert de vivre et tout, à quoi ça sert en bref d’être né »), pas vraiment le long fleuve tranquille, plutôt les montagnes russes, au final  une force de la vie qui va en agitant ses grands bras... 

Une belle rencontre, je guette le prochain !


Pour aller plus loin

Des nouvelles du nord de Paname de Jimmy Trapon.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonjour !
Votre commentaire sera bientôt en ligne.
Merci d'échanger avec nous !
Gabriel et Marie-Hélène.