20 juillet 2024

Chronique littéraire : Banc de brume de Sophie Berger (Gallimard).


Présentation de l'éditeur
D'Olivier et Yvonne, jeunes mariés morts dans un accident d'avion en 1976, leur nièce Alice n'a jamais rien su. La sidération a confisqué l'histoire. Devenue réalisatrice son, elle se lance dans une recherche qui la mène à recomposer leur destin. Alice scrute les photos, fouille les archives et articles de presse. De la bande-son rock'n'roll aux récits des témoins retrouvés émerge peu à peu l'écho d'une jeunesse des années 70. La preneuse de son explore le silence qui a entouré le drame familial, pour en découvrir les résonances dans le présent, au-delà de la seule sphère intime. Délicat et juste, ce premier roman de Sophie Berger est une réflexion sur le deuil, et sur la nature du silence qui l'accompagne parfois d'une génération à l'autre.

Biographie:
Sophie Berger vit dans l'ouest de la France. Elle est réalisatrice son. Banc de brume est son premier roman.


Notre chronique
Banc de brume est un premier roman magistral qui touche profondément le cœur du lecteur. À travers deux métaphores filées, l’auteure nous entraîne dans un récit où le son et le brouillard jouent un rôle central.
La première métaphore, celle du son et de la prise de son, se reflète dans la vie d’Alice, réalisatrice son.
Mes oreilles happent le son de sa voix. Une hyperacousie. Un zoom audio qui évacue le reste. Je ne perçois plus rien des éclats des enfants au jardin. Je grave tout. Mon cœur en disque dur. Ma peau tenaille mes questions. L'envie d'en savoir plus. Une soif. C'est la première fois que j'entends ce récit, livré à l'aîné d'entre nous et sa femme. L’occasion de l'entrée de Laurence dans la famille comme déclencheur. Un étranger débarque et autorise la parole. Laurence me livre des souvenirs fuyants. Elle marque des pauses. Reprend. Corrige. Ajuste. 
Page 35.
Les indices qu’elle découvre sont comme des débris de l’avion de tourisme de son oncle et de sa tante. 
Le brouillard, quant à lui, symbolise la mémoire familiale et plane sur les recherches d’Alice, qui a du mal à retrouver des informations sur l’accident dont Olivier, Yvonne et Gabriel ont été victimes, plus de quarante ans après le drame.
Les images que je me forge sont loin de la violence du réel. Seul le mutisme qui dure depuis plus de 40 ans peut témoigner, peut-être, de l'onde de choc. 
Page 50.
Le roman allie parfaitement fond et forme, avec ses chapitres courts qui nous ramènent dans le passé à travers les souvenirs des témoins, de la famille, mais aussi à travers des instantanés de la vie d’Olivier et Yvonne. Il s’agit presque d’un roman choral. En lisant la première ligne de chaque chapitre, on se demande qui parle, et on plonge ainsi dans l’histoire aux côtés de la narratrice, grâce à ces informations qui nous manquent pour quelques instants. Cette proximité avec Alice, sa famille et son histoire est l’un des aspects que j’ai le plus appréciés du livre. 
Et les liens qui se nouent entre les différents personnages (l’attirance pour la Bretagne, la vie avec un pêcheur, qui relie Alice à sa tante), qui sont autant de traces d’un lien familial et qui prouvent à quel point il est délétère de ne pas parler, à quel point les secrets de famille pèsent sur les enfants, sans qu’ils en soient conscients…
Le trauma passé de génération en génération, sans se formuler. La douleur ne tient pas dans les mots, alors on la fond dans une ouate sourde. Sans volonté de cacher. Simplement on ne dit rien. On n'en parle pas. Même s'il n'y a rien à occulter. On juge qu'il n'y a rien à en dire. On ne juge même pas. On fait sans doute comme on peut. Comme on ne peut pas. page 51.
Douleur et sidération se transmettent, c'est certain, sans qu'on sache trop d'où elles viennent, merci à ceux et celles qui déchirent le voile, rendent la rumeur confuse intelligible. Pour pouvoir avancer.
Sa mémoire fabrique des souvenirs comme elle peut, à toute allure, sans se soucier du réel, comme on déposerait à la hâte les rails d'un circuit devant le petit train lancé à vive allure. À partir de bribes, elle crée des liens. Cette enquête me confronte à ça. Ceux qui acceptent de me parler me livrent leurs réminiscences. Mais ce sont des pierres instables, qui émergent à la surface de sables mouvants. Dès que j'essaye d'y prendre appui, je découvre combien tout cela est glissant. Aucun souvenir ne sera jamais du réel enregistré. Tout y sera toujours vrai, sans intention de mentir ou dissimuler, mais la falsification de l'histoire aura déjà eu lieu. Je ne peux que confronter des mémoires réécrites et éparses. Lacunaires. Page 142.
À découvrir !

Pour aller plus loin
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