15 décembre 2018

Chronique : L'Évangile selon Pilate d'Éric-Emmanuel Schmitt (Éditions Albin Michel).

Quatrième de couverture
Première partie : Dans le jardin des oliviers, un homme attend que les soldats viennent l'arrêter pour le conduire au supplice. 
Quelle puissance surnaturelle a fait de lui, fils de menuisier, un agitateur, un faiseur de miracles prêchant l'amour et le pardon ? 
Deuxième partie: Trois jours plus tard, au matin de la Pâque, Pilate dirige la plus extravagante des enquêtes policières. Un cadavre a disparu et est réapparu vivant ! 
A mesure que Sherlock Pilate avance dans son enquête, le doute s'insinue dans son esprit. 
Et avec le doute, l'idée de foi. 
L'Évangile selon Pilate a reçu le Grand Prix des lectrices Elle 2001.

L'incipit
    Dans quelques heures, ils vont venir me chercher. Déjà ils se préparent.
    Les soldats nettoient leurs armes. Des messagers d'éparpillent dans les rues noires pour convoquer le tribunal. le menuisier caresse la croix sur laquelle je vais sans doute saigner demain. Les bouches chuchotent, tout Jérusalem sait déjà que je vais être arrêté. 
    Ils croiront me surprendre... Je les attends. Ils cherchent un accusé, ils trouveront un complice.
    Mon Dieu, faites qu'ils ne soient pas modérés !
Rendez-les sots, violents, expéditifs. Épargnez-moi la fatigue de les exciter contre moi !
Qu'ils me tuent ! Vite ! Et proprement ! »

L'auteur

Éric-Emmanuel Schmitt est un écrivain et réalisateur français naturalisé belge.
Normalien, agrégé de philosophie, docteur, il s’est d’abord fait connaître au théâtre avec "Le Visiteur", cette rencontre hypothétique entre Freud et peut-être Dieu, devenue un classique du répertoire international. Rapidement, d’autres succès ont suivi : "Variations énigmatiques", "Le Libertin", "Hôtel des deux mondes", "Petits crimes conjugaux", "Mes Évangiles", "La Tectonique des sentiments"… Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l’Académie française. Son œuvre est désormais jouée dans plus de quarante pays.
Il écrit le "Cycle de l’Invisible", six récits qui rencontrent un immense succès aussi bien sur scène qu’en librairie. Une carrière de romancier, initiée par "La Secte des égoïstes", absorbe une grande partie de son énergie depuis "L'Évangile selon Pilate", livre lumineux dont "La Part de l’autre" se veut le côté sombre. Depuis, on lui doit "Lorsque j’étais une œuvre d’art", une variation fantaisiste et contemporaine sur le mythe de Faust et une auto-fiction, "Ma Vie avec Mozart", une correspondance intime et originale avec le compositeur de Vienne et "Les perroquets de la place d'Arezzo", l'un de ses plus beaux romans.
Deux recueils de nouvelles se sont ajoutés récemment : "Odette Toulemonde et autres histoires", huit destins de femmes à la recherche du bonheur, est inspiré par son premier film tandis que "La Rêveuse d'Ostende" est un bel hommage au pouvoir de l'imagination.
Grand amateur de musique et mélomane, il a également signé la traduction française des "Noces de Figaro" et de "Don Giovanni". Il est naturalisé belge en 2008.
Récompensé à maintes reprises, que ce soit en France ou à l'étranger, il est devenu l’un des auteurs francophones les plus lus et les plus représentés dans le monde. Début janvier 2016, il fait son entrée dans le jury Goncourt.

Notre chronique
Parler des livres est difficile, tant les auteurs y mettent d’eux-mêmes. S’il s’agit d’un livre entré au Panthéon, comment, nous, modestes blogueurs, pouvons-nous oser toute critique ? Et quant aux auteurs naissants, comment pouvons-nous prendre le risque de les froisser, voire de les décourager, sachant, étant auteurs nous-mêmes, à quel point l’aventure de l’écriture est ingrate et ardue. Pour autant, devons-nous nous limiter à une approche émotionnelle de la lecture, autrement dit au ressenti ?  Les personnages sont attachants, le livre est émouvant, etc…
Ce serait une solution de facilité, et nous nous y refusons. En revanche, pour nous préserver de tout risque, nous avons choisi de ne parler que des livres que nous aimons, ce qui est bien sûr le cas du livre d’Éric-Emmanuel Schmitt !

Écrit en deux parties, il a pour narrateurs, Jésus de Nazareth et Ponce Pilate, le préfet de la Judée.
La première partie, beaucoup plus courte, s’inspire des récits des évangélistes. La seconde, nettement plus longue, prend la forme d’une enquête policière, dans laquelle Pilate joue le rôle de l’inspecteur.
On pourrait donc penser que, dans cette vision romancée de l’histoire de Jésus, il y a un épisode historique, et un épisode imaginaire, puisque jusqu’à une période très récente on n’était même pas sûr de l’existence de Ponce Pilate (sa bague - son sceau - vient d’être retrouvée dans des fouilles archéologiques). Or, cette distinction est sans doute beaucoup moins nette qu’il n’y paraît. Pourquoi ?
Il faut se souvenir que les Évangiles ont été rédigés par Marc, Matthieu, Jean et Luc, des hommes qui n’ont pas été les contemporains de Jésus. Ils n’ont donc pas été les témoins oculaires de ce qu’ils racontent. Dans les évangiles, nous sommes déjà dans la légende, dans le mythe. Et ces récits ont, à la limite, autant de vraisemblance que l’histoire de Pilate menant son enquête auprès d’Hérode, de Salomé, etc… Schmitt s’inscrit donc dans une logique parfaitement cohérente.
Où est la vérité ? Quelle est la part des désirs humains calqués sur une histoire revue, transcendée, déifiée ?
Comme dans toute histoire religieuse, on ne le saura jamais.

Dans ce récit, écrit simplement, mais prenant, Jésus apparaît comme un homme ordinaire, un charpentier qui a une vie de famille, nullement prédestiné. Sa vocation lui vient lentement, presque à son insu, sous l’influence complice de ses apôtres. Il y a une vision presque laïque du cheminement de Yéchoua (l’auteur a choisi de conserver les noms hébraïques des personnages, ce qui est parfois un peu perturbant, pour Christophe, par exemple). Dieu est peu présent.
En revanche, ce qui est mis en valeur, de manière très pertinente, c’est la disproportion entre une histoire relativement banale et l’implication qu’elle aura dans l’avenir pour des milliards d’êtres humains. A ce titre, le personnage de Claudia, femme de Pilate, est particulièrement intéressant. Pilate doute. Pour lui, Jésus n’est qu’un allumé vivant dans un trou paumé, quelqu’un qu’on aura vite oublié. Et c’est Claudia qui prend la mesure de l’événement. Elle devient chrétienne, et ce faisant, révèle à son mari l’importance du message délivré par Jésus. Un message de tolérance - en particulier pour les femmes -  très subversif pour l’époque.

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Gabriel et Marie-Hélène.