16 janvier 2019

Chronique : une immense sensation de calme de Laurine Roux - Éditions du Sonneur (Kube de Novembre 2018).

Chronique de l'ouvrage accompagnant la Kube de novembre 2018

Quatrième de couverture 

Alors qu'elle vient d'enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor. Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d'une guerre qui, cinquante plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les « Invisibles », parias d'un monde que traversent les plus curieuses légendes.
Au plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime d'une nature souveraine et le merveilleux d'une vie qu'illumine le côtoiement permanent de la mort et de l'amour.

Notre chronique
Étrangement… le titre de ce roman remarquable rend parfaitement compte des sensations ressenties pendant sa lecture, étrangement car tout n’est pas rose ou calme dans ce récit… tant s’en faut !
Le style de Laurine Roux unique, onirique, poétique enchante le lecteur quoique la vie des personnages soit souvent truffée de malheurs.
Ce roman est d’une extrême douceur, d’une extrême tendresse malgré certaines horreurs décrites. En effet,  les personnages ne mènent pas une vie facile et sont confrontés à la perte d’êtres chers, à la faim, à l’hostilité des éléments, à la pauvreté, à la cruauté incommensurable des hommes de cette tribu, à leur absence de pitié face à la faiblesse humaine. Cette tribu existe-t-elle quelque part, ou est-elle seulement le fruit de l’imagination de l’auteure ? Au fond, cela n’a pas d’importance, car ce qui compte, c’est la morale, une morale de l’instant. Il faut vivre. Le temps nous est compté. Mais ce n’est pas grave. Il faut se détacher de la peur de mourir. Accepter l’inévitable, et ne pas le ressentir comme un blocage, un drame stérilisateur. Le récit est émaillé de mises en abîme, de légendes, dans un texte qui souligne imperceptiblement l’importance du passé, banni pour les protagonistes. À partir d’une guerre meurtrière et cruelle, d’événements dont aucun habitant ne pourrait être fier (abandon pur et simple d’orphelins à leur sort, dans les montagnes, allant jusqu'à les appeler Les invisibles et les trouver responsables de tous les maux de la société.), les habitants de ce hameau décident de tout oublier et nomment ceci le Grand-Oubli. Mais c'est oublier que rien ne se perd et que les "Vieilles" ont de la mémoire...

L'auteure

Laurine Roux est professeure de lettres modernes et auteure française.
Elle écrit des nouvelles et a reçu, en 2012, le Prix International George Sand. Elle publie dans des revues, notamment L'Encrier renversé et La Revue Métèque et tient un blog du nom de Pattes de mouche et autres saletés.
Lectrice de Giono, de Cendrars (dont elle fit l'objet de ses études universitaires) ou de Sylvie Germain, elle s'inspire de ses voyages dans le Grand Est glacial pour écrire ses premiers romans marqués, sauvages, organiques, non exempts de lyrisme ni de poésie.

Interview

Quand avez-vous su que vous vouliez écrire ?Très tôt, dès l’enfance à vrai dire, j’ai éprouvé le désir d’exprimer mes émotions, de partager mes songes, mes rêveries. J’ai exploré plusieurs chemins – le violon, le dessin, la danse et l’écriture. Je n’ai pas choisi pendant longtemps. L’écriture s’est imposée à moi autour de mes dix-huit ans, à travers le genre poétique.

Quelles sont vos principales influences ?
Extrêmement diverses ; irriguées par la littérature essentiellement, et qui balaient large : du XVIème siècle dont j’affectionne particulièrement le ton docte et fol (Rabelais, Montaigne, Béroalde de Verville, D’Aubigné…) en passant par le XIXème qui m’a profondément marquée (La Légende des Siècles, de Hugo : ma Bible, Baudelaire, Balzac, Verlaine…), le XXème (Desnos, Céline, Giono, Cendrars) et plus récemment Cormac McCarthy, Bolano, Safran Foer…Je puise aussi beaucoup d’inspiration dans la peinture, la musique, et surtout la photographie : souvent une œuvre peut me bousculer, réveiller une zone d’invention que je ne pensais pas explorer et lève un récit.  Je suis très attachée à la puissance narrative des images.Mais la plus grande pourvoyeuse d’inspiration reste en ce qui me concerne la nature, dans l’infiniment petit comme l’infiniment grand !

Quelle lectrice êtes-vous ?
J’ai longtemps oscillé entre deux postures : celle de la lecture-plaisir et celle de l’analyse universitaire. Depuis quelques années, les deux se rejoignent ; j’ai besoin de rencontrer une vraie langue, qu’elle soit méticuleusement ouvragée ou proférée dans l’urgence, il me faut une voix singulière pour que le plaisir de la lecture soit entier. Cela peut relever de la nervosité rugueuse d’un polar, du caractère épique d’un poème, comme dans Par là d’Estelle Fenzy ou d’une forme inédite, à la manière de Moi, Marthe et les autres d’Antoine Wauters.
Les souvenirs que je garde de ces lectures relèvent de la « petite musique » qui persiste. Je pense à celle toute particulière du phrasé litanique de Marc Graciano qui résonne encore alors que je l’ai lu il y a un an, époustouflée par le souffle de Liberté dans la montagne

Exercez-vous une autre profession ?
Je suis enseignante de Lettres Modernes.

Si oui, comment gérez-vous les deux ?
De manière assez acrobatique à vrai dire. La sphère de l’enseignement mobilise des énergies et des rythmes bien différents de ceux de la création. Il me faut du temps pour passer d’une casquette à une autre, cela ne me laisse pas toujours le loisir d’écrire autant que je le voudrais.
Je me nourris cependant de cette frustration. Arrivée à son paroxysme, elle se transforme en une espèce de rage d’écrire, de nécessité presque furieuse. A ce moment-là, tout le monde sait à la maison que je vais rester enfermée tant que je n’ai pas éclusé des pages tout mon soûl. J’en ressors à la fois lessivée et étourdie. C’est jouissif.

Avez-vous de petites manies d’écrivain ?
Plusieurs, j’avoue. Beaucoup d’idées me viennent quand je suis dans la douche. Allez savoir pourquoi, lorsque je peine sur un texte - problème de vraisemblance, image qui manque de vigueur, le problème se règle souvent à mon insu sous l’eau. Le ruissellement, le mouvement perpétuel, quelque chose qui induit un abandon propice aux forces souterraines… Même processus quand je conduis. Le défilé du paysage, la concentration de la conduite ouvrent la possibilité de fabulations non contrôlées. Ce qui me fait souvent dire que ce n’est pas réellement moi qui écrit mes textes, et ce n’est pas une coquetterie. Ils adviennent à mon insu, ce qui rajoute au plaisir de la conception. 
Sinon, j’aime me sentir totalement claustrée quand vient le moment d’écrire. Je ferme les volets, la porte, et me mets dans le noir avec la seule lumière de l’écran. J’allais oublier le silence, le sacro-saint silence.

Qu’est-ce que vous préférez dans votre métier d’écrivain ?
Cela pourrait paraître une dérobade mais : écrire. Aussi bien dans la phase d’invention, lors des tâtonnements du premier jet que dans l’étape de la réécriture, qui peut durer des mois et des mois. J’adore littéralement cent fois sur le métier remettre l’ouvrage jusqu’à ce que la phrase, qu’on a tournée et retournée dans tous les sens, dégraissée, morcelée, sonne enfin juste. Ces temps de peaufinage où l’on écoute la langue ont peut-être ma préférence, une fois que l’histoire est en place, qu’il s’agit alors de trouver le rythme, la ligne mélodique qui tombe pile, comme un habit sur-mesure.

Quels sont vos projets d’écriture ?
J’en ai plusieurs : terminer le roman sur lequel je planche, chercher un éditeur pour un recueil de poésie qui sommeille et peut-être revenir sur deux manuscrits. Peut-être me coltiner au genre théâtral. Je viens de terminer un monologue qui va être joué l’année prochaine, j’ai aimé l’expérience et voudrais la poursuivre.  

Un mot de la fin ?
Le dernier mot d’Une immense sensation de calme est « Simplement de passage ». J’aime l’idée que toute fin, dans ce qu’elle a de plus tragique, puisse être envisagée comme légère. On y retrouverait presque la sagace déraison des enfants.   
***


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