J’avais lu
ces mémoires il y a vingt ans, et, pour tout dire, ils m’étaient un peu
tombés des mains. Puis, comme dirait Dumas, vingt ans après, au hasard d’une boîte à livres, je tombe sur le
bouquin de Sollers « Casanova l’admirable » où j’apprends que le
texte a été expurgé jusqu’à nos jours et qu’une nouvelle édition lui rend enfin
justice, celle de Robert Laffont, trois volumes, quatre mille cinq cents pages
(l’édition que j’avais n’en faisait que cinq cents !).
Comme c’est mon anniversaire, je mets ma femme et mes filles à contribution, et me voilà muni de l’œuvre monumentale, que - pour ceux qui ont des douleurs articulaires - je conseille plutôt de lire sur tablette !
Comme c’est mon anniversaire, je mets ma femme et mes filles à contribution, et me voilà muni de l’œuvre monumentale, que - pour ceux qui ont des douleurs articulaires - je conseille plutôt de lire sur tablette !
Alors,
faut-il, deux cents ans plus tard, lire Casanova, l’intégrale ?
Vaut-il le coup, ce séducteur invétéré, qu’on lui consacre un temps de plus en plus happé par les écrans ? (Je suis d’ailleurs sur un écran !)
Sollers a-t-il raison ?
Vaut-il le coup, ce séducteur invétéré, qu’on lui consacre un temps de plus en plus happé par les écrans ? (Je suis d’ailleurs sur un écran !)
Sollers a-t-il raison ?
Sans
hésiter, je réponds : oui.
Cela évitera (pour ceux qui me font confiance) de lire la suite de cette chronique ; et puis - mais ça, c’est personnel - je déteste les chroniques où l’on ne sait pas avant la fin si le rédacteur a aimé ou non le livre. Bref, passons… le but restant de faire partager à d’autres une lecture intéressante ; je dis ça, parce qu’un certain nombre de gens imaginent que l’on rédige ce blog moyennant des intérêts. Or, il n’y a là-dedans que passion. Rien d’autre. Qu’on se le tienne pour dit : c’est du bénévolat.
Mais revenons à notre affaire. Tout de même : quel homme !
Entré dans la légende, et même universellement dans le langage.
Qui était-il ? Malgré l’épaisseur de ces mémoires inachevés, on ne le saura jamais vraiment. C’est que le personnage est très complexe. Vénitien, européen, il voyage partout et a ses entrées dans toutes les cours, quoique n’étant pas noble. Sa liberté impressionne. Liberté d’idées, de comportement. C’est bien sûr un libertin, mais aussi un homme des Lumières. Il affiche son athéisme, mais le pape le reçoit ! Son audace n’a pas de limite, ce lui vaut de séjourner maintes fois en prison. Il s’échappe (une évasion célèbre et rocambolesque) de la prison des plombs où il a été enfermé pendant quinze mois, dans de rudes conditions. Les grands de ce monde veulent tous entendre le récit de cette échappée par les toits de Venise (on peut encore visiter le lieu aujourd’hui et voir la lucarne par où il s’est glissé). Il est riche. Certes, il joue, et gagne parfois de grosses sommes, mais - loi du genre - il y laisse aussi des plumes. Alors d’où lui vient cet argent qu’il trouve dans les pires extrémités ? Certains indices laissent à penser qu’il était un agent secret, rétribué pour des missions…
Bien sûr, il escroque sans vergogne la marquise d’Urfé en se faisant passer pour un mage ! Accessoirement, il couche avec elle, bien qu’elle soit une vieille femme (pour les critères de l’époque : elle n’a que cinquante ans !), contredisant sa légende. D’ailleurs ses amours sont variées, il n’est pas un débauché comme on peut en trouver chez Sade. S’iI aime les femmes passionnément, il faut avant tout qu’elles le touchent. Ainsi en est-il d’une bossue avec laquelle il fait l’amour quoique, précise-t-il, sa vulve soit à la hauteur de son nombril !
Il fait feu de tout bois. Sa stratégie : s’introduire dans une famille et séduire la (ou les) filles de maison à l’insu de leurs parents. L’âge n’est pas un obstacle et certains récits nous choquent aujourd’hui, si l’on oublie un contexte loin de la majorité à dix-huit ans !
Et puis, il y a les nonnes, les recluses, les prostituées, les actrices, les employées de maison, les jeunes aristocrates mariées à de vieux barbons. Qu’elles soient pauvres ou riches, il les respecte, les séduit, les oublie, les retrouve avec joie, leur fait un enfant (il ne sait pas exactement combien il en a, au moins deux)…
Était-il beau pour parvenir aussi facilement à ses fins ? Ses contemporains ne le décrivent pas toujours de manière flatteuse. Mais les canons changent. Aurions-nous apprécié les femmes qu’il a séduites ?
Ces mémoires ne se réduisent pas, heureusement, à une collection de conquêtes. Il y a beaucoup plus. Car Casanova rencontre tout le monde, et parle avec tout le monde que ce soit Voltaire ou un simple bourgeois. Il maîtrise parfaitement le latin et le français, les langues essentielles de l’époque. Et il est, de ce fait, un formidable témoin de son temps, effaçant bien des clichés, par exemple sur l’hygiène corporelle. Il faut le dire, les gens se lavaient bel et bien au dix-huitième siècle. En revanche les rues - en particulier à Paris - étaient aussi sales que dans les témoignages de Restif de la Bretonne.
Casanova bouge. À cheval, en calèche, voire à pied. Il fuit les familles outragées, ou les dettes. Une solide constitution lui permet les pires excès, même s’il attrape à plusieurs reprises la petite vérole… Et puis, comme pour n’importe qui, le temps s’écoule. Face aux problèmes, ses amis le lâchent. Ses conquêtes se font plus laborieuses. Son prodigieux potentiel sexuel diminue. C’est la vieillesse qui arrive, sournoisement :
« J’avais quarante-cinq ans, j’aimais encore le beau sexe quoiqu’avec beaucoup moins de feu… et moins de courage pour les entreprises hardies, car, ayant l’air plus d’un papa que d’un galant, je ne croyais plus avoir ni des droits, ni de justes prétentions ».
Il lui reste les livres, qu’il a toujours aimés, autant que les femmes. Et puis écrire. En français, directement. Son texte est bourré d’italianismes que les premiers éditeurs ont cru bon de gommer. Heureusement que tout a été restitué par cette édition avec les maladresses qui font son extraordinaire saveur.
Alors que la démocratie s’essouffle aujourd’hui, partout dans le monde, lisez Casanova, pour la liberté d’un siècle qui l’a inventée.
Cela évitera (pour ceux qui me font confiance) de lire la suite de cette chronique ; et puis - mais ça, c’est personnel - je déteste les chroniques où l’on ne sait pas avant la fin si le rédacteur a aimé ou non le livre. Bref, passons… le but restant de faire partager à d’autres une lecture intéressante ; je dis ça, parce qu’un certain nombre de gens imaginent que l’on rédige ce blog moyennant des intérêts. Or, il n’y a là-dedans que passion. Rien d’autre. Qu’on se le tienne pour dit : c’est du bénévolat.
Mais revenons à notre affaire. Tout de même : quel homme !
Entré dans la légende, et même universellement dans le langage.
Qui était-il ? Malgré l’épaisseur de ces mémoires inachevés, on ne le saura jamais vraiment. C’est que le personnage est très complexe. Vénitien, européen, il voyage partout et a ses entrées dans toutes les cours, quoique n’étant pas noble. Sa liberté impressionne. Liberté d’idées, de comportement. C’est bien sûr un libertin, mais aussi un homme des Lumières. Il affiche son athéisme, mais le pape le reçoit ! Son audace n’a pas de limite, ce lui vaut de séjourner maintes fois en prison. Il s’échappe (une évasion célèbre et rocambolesque) de la prison des plombs où il a été enfermé pendant quinze mois, dans de rudes conditions. Les grands de ce monde veulent tous entendre le récit de cette échappée par les toits de Venise (on peut encore visiter le lieu aujourd’hui et voir la lucarne par où il s’est glissé). Il est riche. Certes, il joue, et gagne parfois de grosses sommes, mais - loi du genre - il y laisse aussi des plumes. Alors d’où lui vient cet argent qu’il trouve dans les pires extrémités ? Certains indices laissent à penser qu’il était un agent secret, rétribué pour des missions…
Bien sûr, il escroque sans vergogne la marquise d’Urfé en se faisant passer pour un mage ! Accessoirement, il couche avec elle, bien qu’elle soit une vieille femme (pour les critères de l’époque : elle n’a que cinquante ans !), contredisant sa légende. D’ailleurs ses amours sont variées, il n’est pas un débauché comme on peut en trouver chez Sade. S’iI aime les femmes passionnément, il faut avant tout qu’elles le touchent. Ainsi en est-il d’une bossue avec laquelle il fait l’amour quoique, précise-t-il, sa vulve soit à la hauteur de son nombril !
Il fait feu de tout bois. Sa stratégie : s’introduire dans une famille et séduire la (ou les) filles de maison à l’insu de leurs parents. L’âge n’est pas un obstacle et certains récits nous choquent aujourd’hui, si l’on oublie un contexte loin de la majorité à dix-huit ans !
Et puis, il y a les nonnes, les recluses, les prostituées, les actrices, les employées de maison, les jeunes aristocrates mariées à de vieux barbons. Qu’elles soient pauvres ou riches, il les respecte, les séduit, les oublie, les retrouve avec joie, leur fait un enfant (il ne sait pas exactement combien il en a, au moins deux)…
Était-il beau pour parvenir aussi facilement à ses fins ? Ses contemporains ne le décrivent pas toujours de manière flatteuse. Mais les canons changent. Aurions-nous apprécié les femmes qu’il a séduites ?
Ces mémoires ne se réduisent pas, heureusement, à une collection de conquêtes. Il y a beaucoup plus. Car Casanova rencontre tout le monde, et parle avec tout le monde que ce soit Voltaire ou un simple bourgeois. Il maîtrise parfaitement le latin et le français, les langues essentielles de l’époque. Et il est, de ce fait, un formidable témoin de son temps, effaçant bien des clichés, par exemple sur l’hygiène corporelle. Il faut le dire, les gens se lavaient bel et bien au dix-huitième siècle. En revanche les rues - en particulier à Paris - étaient aussi sales que dans les témoignages de Restif de la Bretonne.
Casanova bouge. À cheval, en calèche, voire à pied. Il fuit les familles outragées, ou les dettes. Une solide constitution lui permet les pires excès, même s’il attrape à plusieurs reprises la petite vérole… Et puis, comme pour n’importe qui, le temps s’écoule. Face aux problèmes, ses amis le lâchent. Ses conquêtes se font plus laborieuses. Son prodigieux potentiel sexuel diminue. C’est la vieillesse qui arrive, sournoisement :
« J’avais quarante-cinq ans, j’aimais encore le beau sexe quoiqu’avec beaucoup moins de feu… et moins de courage pour les entreprises hardies, car, ayant l’air plus d’un papa que d’un galant, je ne croyais plus avoir ni des droits, ni de justes prétentions ».
Il lui reste les livres, qu’il a toujours aimés, autant que les femmes. Et puis écrire. En français, directement. Son texte est bourré d’italianismes que les premiers éditeurs ont cru bon de gommer. Heureusement que tout a été restitué par cette édition avec les maladresses qui font son extraordinaire saveur.
Alors que la démocratie s’essouffle aujourd’hui, partout dans le monde, lisez Casanova, pour la liberté d’un siècle qui l’a inventée.
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