Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l'autre côté de l'archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide, lui aussi, de prendre la route. Leurs deux destinées s'entremêlent pour devenir le miroir l'une de l'autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d'un murmure envoûtant.
"Sous la baguette d'un enchanteur qui puise ses sortilèges dans les pires noirceurs de la condition humaine, Kafka sur le rivage est le roman le plus ambitieux, le plus envoûtant de Murakami." André Clavel, Lire.Traduit du japonais par Corinne Atlan.
Notre chronique
Un texte envoûtant dès la première ligne, voire hypnotique. Mon tout premier Haruki Marukami (et certainement pas le dernier !) : une découverte à la hauteur de mes attentes, puisque j’adore la littérature japonaise.
Un roman dont l’étrangeté est partie prenante de notre expérience de lecture : elle se transforme presque en personnage à part entière et rend cet ouvrage inclassable : bildungsroman (absolument), récit onirique (magic realism) mais aussi très terre à terre (thématiques telles que la guerre, l’horreur, la folie, l’absurdité de tuer son prochain uniquement parce qu’on nous ordonne de le faire, réflexion qui me rappelle d’ailleurs Voyage au bout de la nuit), roman fantastique et fantasque, dans lequel les poissons ne sont pas multipliés mais tombent du ciel…
C'est le récit d'une jonction inattendue : Kafka, enfant abandonné, sorte d'archétype de l'angoisse existentielle, rencontre Nakata, obligé inlassablement de vivre l'instant présent car il a perdu la mémoire. Et comme rien n'est dû au hasard, cette rencontre s'effectue dans un lieu dépositaire de mémoire par excellence, une bibliothèque...
Ce texte fourmille de symboles, allusions, vérités cachées, énigmes à déchiffrer, on pense à la symbolique du rivage, ou au choix de "Kafka" qui veut dire "choucas" qui n'est autre qu'une sorte de... corbeau... La quête identitaire de l'un met en lumière celle de l'autre, les intrigues s'entremêlent et se répondent, et le lecteur trouve un écho en lui-même et touche à des vérités universelles dans un magnifique foisonnement de références et de revisitations de mythes et écrits célèbres, tels Œdipe ou Macbeth...
Il est ici question de pardon, de rédemption, de bravoure, de solitude, du sens à trouver à l'existence, du temps, de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, et finalement d'espérance ... ; de notre positionnement dans l'univers et face à notre destinée.
Un superbe conte initiatique, une véritable tragédie "antique" de notre siècle, mystérieuse à souhait, parfaite pour l'introspection et la connaissance de soi ("la responsabilité commence dans les rêves", Yeats), et réenchanter la réflexion sur notre condition d'être humain, seul et pourtant relié...
Un chef-d'œuvre, à la hauteur de ceux qu'il évoque, qui nous nourrira longtemps.
Pour aller plus loin
Ma chronique de Snow
Country,
Un Padlet créé pour mes élèves de section internationale
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