Résumé
Prix Femina 2021, Prix Landerneau 2021
C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.
Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.
La naissance d'un enfant handicapé racontée par sa fratrie.
Un livre magnifique et lumineux.
Notre chronique
Un ouvrage magnifique, porteur d'espoir, une saga familiale d'une puissance époustouflante.
Roman choral, ou en tout cas à trois voix, qui retrace l'histoire d'un jeune handicapé, inadapté vis à vis de notre société normative, qui nous juge et nous met dans des cases.
"Personne ne comprit réellement qu’à cet instant-là, une fracture se dessinait. Bientôt, les parents parleraient de leurs derniers instants d’insouciance, or l’insouciance, perverse notion, ne se savoure qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir."
Une famille blessée au plus profond d'elle-même, dans laquelle chacun s'adapte, chacun cherche son rôle et sa place, et des aménagements avec sa douleur, plus ou moins visible. Un père qui souffre en silence, pour soutenir les siens, un aîné qui veille avec amour, avec le soin d'une mère sur son frère qui sera à tout jamais un bébé, une soeur qui combat des sentiments contradictoires, un petit dernier qui arrive après la mêlée et souffre lui de n'avoir pas connu ce petit frère, qui essaie aussi, à sa façon, de panser les plaies de ses proches.
Un combat contre l'horreur, l'enfer, la fatalité qui est déroulé dans ce roman de façon posée, touchante, poétique, et originale (puisque les narrateurs sont les pierres de la demeure). Aucun enfant, parent n'est jamais nommé par son prénom, son nom (seuls les fonctions dans la famille sont proposées : l'aîné, la cadette, l'enfant, le dernier, le père, la mère).
"Dans la cour du hameau, on se sentait parfois cerné par des vagues énormes, immobiles, mousseuses d’une écume verte. Lorsque le vent se levait et qu’il secouait les arbres, c’était un grondement d’océan."
Une ode également à l'amour familial mais aussi à une région, les Cévennes et à ses paysages, ses habitants.
"(...) les gens sont d’abord nés d’un lieu, et souvent ce lieu vaut pour parenté."
Un grand moment de lecture que nous vous recommandons sans hésiter et qui nous rappelle The Fifth Child de Doris Lessing, adoré lui aussi.
L'incipit
"Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté. Malgré sa laideur un peu dégradante, ce mot dirait pourtant la réalité d’un corps mou, d’un regard mobile et vide. « Abîmé » serait déplacé, « inachevé » également, tant ces catégories évoquent un objet hors d’usage, bon pour la casse. « Inadapté » suppose précisément que l’enfant existait hors du cadre fonctionnel (une main sert à saisir, des jambes à avancer) et qu’il se tenait, néanmoins, au bord des autres vies, pas complètement intégré à elles mais y prenant part malgré tout, telle l’ombre au coin d’un tableau, à la fois intruse et pourtant volonté du peintre."
Pour aller plus loin
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Gabriel et Marie-Hélène.