07 février 2022

Chronique littéraire : L'abri de Constance Dufort (Editions Astobelarra).


Couverture réalisée par Sébastien Ponté.
Présentation de l'éditeur
Je ne me rappelle que du souffle dantesque d’une explosion dans mon dos. Qu’est-ce que je fais ici, au milieu de ces centaines de gens hagards ?

Et ce gamin, qui me regarde si intensément ? Et ce vieillard, qui me parle comme si je pouvais les protéger de la vie dans l’abri ? Autant vouloir les protéger de l’enfer sous terre ! C’est pourtant vrai : mes mains savent cogner, mes réflexes sont vifs. Mais qui suis-je ?

Et puis, tapie dans l’ombre de mes souvenirs qui remontent sporadiquement, il y a la mission, celle pour laquelle je suis encore en vie. Et il y a toi.

L'auteure

Photographie d'Emmanuelle Guillemard

Libraire. Auteure de littérature science-fiction et fantaisie. 
En avril 2018, ses deux premiers romans sont sortis : "Les chemins d'Hermès", roman de science-fiction, aux éditions Astobelarra et "So long, Alice", roman rock et contemporain, aux éditions Nouvelle bibliothèque. Depuis elle n'a cessé d'écrire. (voir les liens vers nos chroniques dans la rubrique "Pour aller plus loin). 

Interview
Quels sont vos genres littéraires préférés ? 
Depuis quelques années, je lis essentiellement des romans de littérature de l’imaginaire (Science-fiction, Fantasy) et de la bande dessinée. Il m’arrive de faire une exception et de plonger dans un polar américain ou scandinave, plus rarement dans de la littérature blanche, mais je suis toujours ramenée aux mondes de l’imaginaire. C’est dans ce type d’œuvre que je me sens la plus libre en tant que lectrice.

Pourriez-vous nous parler de la dystopie ? Des romans post-apocalyptiques en général ?
La dystopie et l’uchronie sont les deux catégories de l’imaginaire que je préfère : il y règne en général une urgence et une énergie qui me parlent. Certains y voient beaucoup de violence et de négativité : des mondes détruits, des sociétés carcérales, des destins brisés... Il y a tout cela, mais j’y vois surtout des paraboles du monde dans lequel nous avons toujours vécu (l’humanité n’a cessé de relever des défis, de mal faire, de recommencer, de détruire, d’essayer encore, de rebondir) et un formidable moteur pour le changement. L’abri se déroule dans un univers post-apocalyptique, mais mon intention de départ était d’écrire sur l’espoir. Peu importe ce qu’il se passe ou comment l’histoire s’achève, ce qui compte, c’est l’espoir que les personnages ont, ou n’ont pas. C’est ce qui fait qu’ils passent à l’action, ou pas. Il permet au personnage principal de reprendre la main sur une partie de sa vie alors que le contexte laisse à penser qu’il n’y a plus aucune latitude, qu’on n’est plus maître de son destin. 

La couverture est magnifique : comment a-t-elle été choisie ? Pourriez-vous nous en parler ?
Je transmets le compliment avec grand plaisir à Sébastien ! La couverture a fait l’objet d’un long débat au sein de la maison d’édition. Chez Astobelarra, nous partageons bon nombre de décisions de façon collégiale. Si l’auteur a le dernier mot sur la couverture, c’est après en avoir discuté en groupe. On a beaucoup hésité pour L’abri. Chacun avait une image différente en tête. C’est un ami auteur, Thomas Ponté, qui m’a finalement fait parvenir la photo d’un tableau réalisé par son frère, Sébastien Ponté. J’ai eu un gros coup de cœur sur l’atmosphère dégagée par la toile, ainsi que sur les couleurs. L’accueil des premiers lecteurs nous a donné raison : la couverture intrigue et permet d’engager la discussion dans les salons ou pendant les dédicaces. Elle représente pour moi aussi bien le contexte du livre que l’état d’esprit des personnages. Et elle est très belle !

Pourriez-vous partager avec nous quelques anecdotes d’écriture de l’abri ?
Ce texte est né d’une obsession : au cours d’un voyage à Berlin j’ai visité le musée Story of Berlin. Sous le bâtiment, il y a un abri antiatomique immense, parfaitement conservé, et la visite est vraiment immersive. Le guide vous donne tous les détails de ce qui était prévu concernant la vie dans l’abri : les circonstances de sa mise en service, qui serait accueilli, pour combien de temps, comment la vie serait organisée, etc. J’ai pris une claque dès mon entrée dans les lieux et j’ai fait une chose dont j’ai encore honte, mais j’espère que la guide aura compris. Je n’avais pas de papier. J’ai sorti mon téléphone portable et j’ai pris des notes à la volée de tout ce qu’elle disait. Je me souviens que c’était plus fort que ma honte (j’ai été guide touristique par le passé, je ne suis pas sûre que j’aurais apprécié qu’un visiteur fasse cela), j’ai noté sans relâche et j’ai posé les questions que je pouvais dans mon anglais approximatif. Je n’ai pas osé expliquer en sortant que j’étais autrice. L’impression a plané longtemps : je savais que j’en ferais un livre, j’avais ça au creux du ventre, mais pas d’histoire encore. Et puis, 6 ou 8 mois après la visite, un matin, tout s’est décanté.
 J’ai volontairement utilisé la première personne pour que le lecteur soit en prise directe avec les émotions, comme je l’ai été lors de cette visite. 
J’ai aussi pris la décision d’utiliser un style plus sec que d’habitude. J’aime les descriptions, j’aime me poser à côté du lecteur et lui susurrer une histoire à l’oreille. Là, je cherche plutôt à beugler dans son pavillon, j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop !

Notre chronique 
Ce roman, comme sa première version plus courte, est un coup de cœur. Il dépeint avec grande pertinence un monde post-apocalyptique bien sombre… mais empreint d’humanité grâce, en grande partie, aux fêlures de la protagoniste, Karelle, et de son « fils », Milo. 
« Milo prend une grande inspiration et se jette à mon cou. Je savoure la chaleur de ce petit corps contre le mien. La vie est là, elle palpite entre nous, dans mon ventre couturé et dans mon cœur fatigué. »
Un jeune homme qui sait se défendre, survivre et allège la peine de cette femme forte et déterminée. Un texte puissant, touchant, frappant de vérité… 
« J’entends autour de nous les souffles lourds d’une humanité aux abois. »
Un monde détruit par la folie et la bêtise des hommes, qui tente de survivre à l’horreur et espère se reconstruire, envers et contre tout. Une écriture vive, parfaitement adaptée au sujet profond du livre, qui fait de nous des êtres humains. 
Tout est douleur : promiscuité, danger, tentatives de survie, perte de la mémoire, monde sans repère…
« La temporalité n’existe plus. »
« On ne bâtit rien sur un socle d’amertume. Elle préfère cultiver la joie de vivre dans son jardin secret. Si seulement elle pouvait s’y enfermer à tout jamais ! »
On ne ressort pas indemne de ce récit et c’est très bien ainsi, car l’art de l’écriture et l’imagination des auteurs (en particulier de science-fiction, d’uchronies, de dystopies) sont idéals pour nous aider à voir ce que l’on pourrait vivre et à en saisir les conséquences de façon frappante. 
« Je suis partout. Les images se mêlent, se déforment, et le son sature mes oreilles. »
Bravo pour ce très beau roman !

Pour aller plus loin

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