"Vous ne savez pas ce qui est arrivé ? Tous les moteurs d'avions se sont arrêtés hier à la même heure, juste au moment où le courant flanchait partout. Tous ceux qui s'étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n'avez rien entendu, là-dessous ? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c'est bien un miracle si je n'ai pas été aplati. Quand le bus de la ligne 2 est tombé, j'ai sauté au plafond comme une crêpe... Allez donc jeter un coup d'œil dehors, vous verrez le beau travail !"
De l'autre côté de la Seine une coulée de quintessence enflammée atteint, dans les sous-sols de la caserne de Chaillot, ancien Trocadéro, le dépôt de munitions et le laboratoire de recherches des poudres.
Une formidable explosion entrouvre la colline.
Des pans de murs, des colonnes, des rochers, des tonnes de débris montent au-dessus du fleuve, retombent sur la foule agenouillée qui râle son adoration et sa peur, fendent les crânes, arrachent les membres, brisent les os.
Un énorme bloc de terre et de ciment aplatit d'un seul coup la moitié des fidèles de la paroisse du Gros-Caillou.
En haut de la Tour, un jet de flammes arrache l'ostensoir des mains du prêtre épouvanté.
L'auteur
René Barjavel est un écrivain et journaliste français, principalement connu pour ses romans d'anticipation.
Fils du boulanger Aimé Henri Barjavel, petit fils de paysans, il perd sa mère, Marie Lydie Paget, veuve d’Émile Achard, en 1922, qui souffrait de la maladie du sommeil depuis 1919. Il fait ses études au collège de Nyons en 1922 puis à celui de Cusset dans l’Allier en tant que pensionnaire.
Il obtient son baccalauréat en 1929, mais ne peut poursuivre ses études faute de moyens. Il exerce de nombreux métiers pour gagner sa vie : en moins d'un an il est alors tout à tour répétiteur, employé de banque, démarcheur puis journaliste au Progrès de l’Allier. Il publie le texte d’une de ses conférences "Colette à la recherche de l’amour" et rencontre l'éditeur Robert Denoël, qui lui propose de travailler pour lui, à Paris.
Ses quatre premiers ouvrages, "Ravage" (1943), "Le Voyage imprudent" (1944), "Tarandol" (1946) et "Le Diable l'emporte" (1948) ne connaissent pas un grand succès. Il sera dénoncé comme collaborateur par le Comité national des écrivains en 1944 pour les avoir publiés dans le journal antisémite "Je suis partout". C'est en romançant un scénario de science-fiction qui ne sera jamais tourné, "La Nuit des temps" (Prix des Libraires en 1968), qu'il renoue avec la littérature
Il a aussi abordé l'interrogation empirique et poétique sur l'existence de Dieu (notamment dans "La Faim du tigre"), et le sens de l'action de l'homme sur la Nature.
Il fut aussi scénariste et dialoguiste de films. On lui doit en particulier "Don Camillo".
René Barjavel meurt des suites d'une crise cardiaque en novembre 1985, à 74 ans.
Notre chronique
Un livre atypique à l'époque, l'une des premières dystopies françaises ! Un tour de force pour ce livre de 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, qui bien sûr soulève de nombreuses inquiétudes de cette époque de désolation et de tueries. Les meurtres, d'ailleurs, le roman en est truffé : en effet, pour survivre à la catastrophe, il faut bien - quitte à écraser, voire tuer son voisin ou tout être humain qui se trouve sur notre passage - tout faire. François, héros, en fait anti-héros à plus d'un titre (tueur sans remords, quasi-dictateur (autodafé) pour le "bien" de son peuple sauvé des flammes et d'une mort certaine), n'échappe pas à la règle.
Un monde sans électricité qui s'écroule d'une minute à l'autre et se transforme en enfer...
Une analyse froide et dépourvue d'espoir de la nature humaine, de notre façon de vivre (de plus en plus soumise à la technologie, déjà à l'époque...), de notre avenir (car le monde retombe dans des travers dictatoriaux) !
Ravage aurait pu être un titre au pluriel !
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