Joe joue du Beethoven dans les gares et les aéroports.
Inlassablement. Il ne se produit pas sur scène, il n’enregistre pas de disques.
Il joue dans les lieux de passage, là où les existences se croisent sans
s’attarder. Il attend. Un visage, peut-être. Une promesse.
Sous ses doigts, c’est le récit de toute une vie qui
s’élève. Ce roman commence dans un orphelinat sinistre au nom évocateur :
« Les Confins ». Un lieu de douleur et de silence, peuplé de personnages
impitoyables, qui profitent de leur pouvoir sur les orphelins. Les enfants
tentent de vivre, de rêver, d’aimer malgré tout.
« Sans passé, sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et une mélodie à une note, ça n’existe pas. »
Ce roman est une échappée lyrique entre la noirceur d’un
quotidien marqué par la maltraitance et les éclats d’humanité qui en
jaillissent : une bande d’amis, une émission de radio, un vieux professeur
de piano, et surtout… Rose.
Il y a dans ce texte une pudeur admirable : jamais
l’auteur ne s’appesantit, jamais il ne cherche les larmes faciles. Il donne au
contraire toute leur densité aux émotions, avec des personnages profondément
attachants, porteurs d’une vérité qui dépasse la fiction.
« Il suffit de deux mots, “mieux ici”, pour me faire comprendre que nous avions de la chance. Qu’il y avait pire que d’être orphelin des ses parents, c’était d’être orphelin de soi. »
Mais au-delà de l’histoire, c’est la langue de Jean-Baptiste
Andrea qui enchante : fluide, élégante, ciselée, elle épouse le rythme des
souvenirs, tantôt précipité, tantôt suspendu.
Une œuvre dans laquelle la musique devient une manière
d’habiter le monde, un refuge, une prière, un art salvateur. Comme dans La
Tempête de Shakespeare, dans laquelle l’île devient théâtre de rédemption, Des
diables et des saints fait de l’enfance un lieu d’initiation, de perte et
de renaissance. Il y a aussi du Petit Prince chez Joe : la
solitude, la fidélité à un amour unique, l’espoir qu’un jour une rose descendra
d’un train ou d’un avion.
« Le rythme. C’est là que je l’entendis. Ça commença par le rire de Danny, qui avait fait machine arrière pour prendre Souzix sur son dos, un effort de légende urbaine, l’effort de ces mères qui soulèvent la voiture sous laquelle leur bébé est coincé. Ensuite, le cœur de Rose qui battait près du mien, un oisillon en armure Dior. Et puis le vent, et puis l’espace immense entre les notes, et puis la joie de Souzix, qui pour la première fois de sa vie ne voyait plus ni murs ni grillages. Une joie qui fusait à grands traits, dont certains s’égaraient et faisaient parfois exploser les avions, tout était lié, tout était là à portée d’oreille.
Le rythme, la chose qui tenait tout, nos vies debout. Et je sus que cette fois, je ne l’oublierai pas. »
🎼 À lire, à offrir, à relire. Comme un adagio. Comme un chant de résistance douce.
Et à écouter ! Une lecture qui sublime le texte ! Bravo à Guillaume Marquet !
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