Autrice jeunesse engagée et passionnée, Suzanne Max combine dans ses romans le plaisir de l’aventure avec des thématiques telles que la transmission, la mémoire, le harcèlement. Nous avons adoré les quatre premiers tomes des enquêtes de ma grand-mère, une série pleine de mystères portée par deux adolescentes intrépides des années 60. Nous avons eu le plaisir de l’interviewer à l’occasion de la sortie du quatrième tome, Les pages oubliées, dans lequel passé et présent s’entrelacent avec finesse.
Bonjour Suzanne ! Comment construis-tu l’intrigue de chaque enquête ? Pars-tu d’un mystère central ou des personnages ?
Bonjour Marie-Hélène et Gabriel ! Dans les deux premiers romans de la série, je suis vraiment partie d’un mystère à résoudre. Mes personnages principaux, c’est-à-dire mon duo Noémie/Mona, sont les mêmes, mais c’est bien leur confrontation à quelque chose de mystérieux qui va les entraîner dans l’aventure. Pour le tome 1, c’est la disparition du garçon qu’elles avaient remarqué dans le bus qui va les intriguer et les lancer dans l’enquête. Les péripéties s’enchaînent alors au fil des recherches, sans que je les aie toutes prévues au départ. Dans le second tome, c’est le mystérieux souterrain qui aurait existé dans leur lycée qui titille leur curiosité.
Toutefois, le mystère peut aussi être lié à un personnage qui les intrigue, comme dans le tome 3 : j’avais décidé de bâtir cette histoire-là sur les superstitions, et sur les croyances encore répandues, surtout dans les campagnes. En présence d’incidents inexplicables, on peut en arriver à suspecter un sorcier ou un jeteur de sorts et à colporter une rumeur. Mais où est la vérité ? C’est bien la question qui va déclencher l’enquête.
Construire l’intrigue, c’est lancer Noémie et Mona dans une enquête, et c’est avant tout les confronter à quelque chose qui va éveiller leur curiosité et leur volonté d’en savoir plus. C’est aussi ce qui se passe dans le tome 4 quand elles réalisent que la mystérieuse Mme Gramond semble bien cacher quelque chose. Quel est son secret ? C’est à partir de cette question que nos deux détectives vont remonter dans le passé.
Le personnage de Mme Gramond est complexe et intrigant : comment l’as-tu imaginée ?
Toute la série des Enquêtes de ma grand-mère prend sa source dans mes souvenirs de jeunesse. En 1967, j’étais moi-même élève de 4e dans un lycée de jeunes filles qui avait été un couvent par le passé. Le décor des romans est donc celui que j’ai connu et l’intrigue prend sa source dans l’établissement scolaire. Pour imaginer Mme Gramond, je me suis souvenue du censeur de mon lycée, une personne austère, sévère et vêtue de noir, dont je pense n’avoir jamais su le nom, mais qui m’intriguait. J’ai décidé de partir de ce physique-là, de sa stature intimidante, et de confronter Noémie et Mona au personnage. Elles vont forcément vouloir chercher à en savoir plus, et c’est en fouillant dans le passé pour découvrir son secret que j’ai vu peu à peu le personnage se construire et s’avérer plus complexe que prévu. Je l’ai senti évoluer, je n’avais pas totalement en tête la solution de l’enquête. Cela s’est fait progressivement.
Dans ce tome, tu abordes des sujets sensibles comme le harcèlement et le poids du silence. Comment choisis-tu tes thématiques ?
Ces thématiques-là ne sont pas choisies au départ. Quand je commence à bâtir l’intrigue, je n’ai que le mystère à résoudre, et le déclic qui va lancer Noémie et Mona dans l’aventure. Mais en avançant dans leur enquête, elles vont forcément côtoyer d’autres personnages qui parfois sont confrontés à des situations difficiles. Dans l’univers scolaire, hélas, le harcèlement est présent, il fait partie justement de ces situations difficiles, et même dramatiques. Noémie et Mona sont bienveillantes, elles ont à la fois de l’empathie et du courage, et dès le tome 2 elles interviennent pour prendre la défense d’Apolline, qui à son tour fera de même pour Sandra dans le tome 4. Mes deux jeunes détectives n’évoluent pas dans un monde aseptisé, elles croisent parfois des choses qui les dérangent, c’est normal, et il me semble qu’il est important de montrer que cela existe et qu’il ne faut pas fermer les yeux sur cette réalité : en être conscient, ne pas faire partie de ceux qui ne veulent pas voir et, lorsqu’on en est témoin, agir et tendre la main à la victime. C’est le message qu’elles donnent et que la narratrice, Cléo, relaie.
Concernant le poids du silence, c’est aussi un thème qui s’est présenté tout seul. Et lorsque les recherches sur le secret de Mme Gramond ont pris au fil du livre plus de profondeur, le poids du passé a également pris de l’importance. Je pense qu’un roman jeunesse, comme un roman pour adulte, ne doit pas rester superficiel. Pour que le jeune lecteur s’attache aux personnages, il a besoin d’entrer dans leur histoire, leur passé et leur intimité.
Quel retour de lecteur/lectrice t’a le plus touchée (en ce qui concerne les quatre tomes) ?
Tous les retours me touchent, c’est donc une question difficile. Je trouve émouvant que cette série jeunesse soit un moment de partage entre générations. Je suis donc particulièrement touchée lorsqu’on me dit que c’est le cas. J’ai eu récemment un témoignage d’une grand-mère qui a vécu cette époque et qui me dit son plaisir de plonger dans, je cite : « une série qui traverse nos propres souvenirs » et « des romans à découvrir absolument par la génération de nos petits-enfants. » Tous les retours qui font ainsi le lien entre ces deux aspects sont pour moi très émouvants, car c’était vraiment mon objectif premier. J’ai voulu associer l’aspect dynamique et amusant que met en valeur la jeune narratrice, Cléo, ado d’aujourd’hui, et l’aspect un peu nostalgique de cette plongée dans les sixties.
As-tu déjà eu l’occasion d’échanger en classe autour de cette série ?
Hélas non. Les classes dans lesquelles je suis invitée à parler de mes livres sont des classes d’école élémentaire, CE1/CE2/CM1, et je suis amenée à échanger sur ma série des aventures de Liann l’enfant faune, plutôt que sur cette série. Celle-ci convient davantage aux CM2/6e/5e, et je n’ai pas eu l’occasion d’intervenir en collège. Cela viendra peut-être ? Je suis en tout cas ouverte à toute proposition !
Quels conseils donnerais-tu aux parents dont les enfants n’ont pas envie de lire ?
Je n’ai pas vraiment de conseils à donner, cela dépend du goût des enfants, mais peut-être que certains facteurs peuvent faciliter l’accès aux livres : le fait par exemple de voir les parents lire aussi, l’habitude d’avoir des livres à la maison et d’écouter avec plaisir des histoires depuis le plus jeune âge. Autrefois, il n’y avait ni télé, ni jeux vidéo, ni internet, donc pour s’échapper dans l’imaginaire et les histoires, le livre était la seule solution. Aujourd’hui, il y a tant d’autres possibilités que la proportion de jeunes lecteurs va forcément se réduire de plus en plus. Pour que les enfants lisent, il faut qu’ils y trouvent du plaisir. Et en premier lieu que leur niveau de lecture soit suffisant pour que l’accès au texte ne les décourage pas. Souvent, il faut les amener progressivement à la lecture autonome en continuant à leur lire les histoires à haute voix même s’ils savent lire. Un enfant de CE1 qui ne sait lire que depuis quelques mois va peut-être trouver difficile et rébarbatif de lire seul un roman d’aventures. Pourtant ce roman-là l’intéressera si on le lui lit. Bien plus que si on lui donne à lire quelque chose de simpliste qui certes sera facile, mais sans intérêt pour lui. Je pense vraiment qu’il faut continuer assez tard à faire la lecture aux enfants, au moins un chapitre chacun en alternance avec l’enfant. Cela leur permet d’entrer dans une littérature jeunesse plus complexe. À ce sujet, je pense qu’on peut aussi avoir recours aux audiolivres, qui sont une alternative intéressante si les enfants aiment écouter les histoires. Les 3 premiers tomes de cette série des Enquêtes existent d’ailleurs en audiolivres aux éditions Ex Æquo.
As-tu prévu un prochain tome ?
Je n’ai pas encore réfléchi à une prochaine intrigue, mais oui j’ai dans l’idée de continuer ces Enquêtes de ma grand-mère.
Le mot de la fin.
Un grand merci bien sûr pour la mise en avant de cette série qui me tient à cœur. J’espère qu’elle procurera aux grands-parents et à leurs petits-enfants de jolis moments d’échanges et de connivence !
Merci infiniment, Suzanne, d'avoir répondu à nos questions !
Rencontrer Suzanne Max, c’est plonger dans un univers au sein duquel l’enfance, la curiosité et la littérature dialoguent avec justesse. Dans ses romans, elle offre aux jeunes lecteurs bien plus que des enquêtes : des repères, des modèles et des indices pour mieux comprendre le monde.
Bravo Suzanne et belle thématique que celle de grandir en étant éveillé sur notre monde tel qu il est, avec la curiosité de comprendre les choses. Dès " l âge de raison" . J aime l idée de s aventurer pour dénouer les mystères en prenant le risque d apprendre de soi comme des autres. Tes personnages sont très actuels!...
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