Je pourrais prétendre que je sais rester des heures allongé, à tourner des pages en croquant des biscuits. C’est faux. C’était vrai adolescent, mais j’ai vieilli et je crois avoir perdu en force de concentration. La faute aux claviers, tel celui sur lequel je frappe en ce moment ou celui sur lequel mon index glisse. Je crois avoir perdu le goût de l’attente, le bonheur de l’attente, avec ses espoirs et ses châteaux de nuages. L’âge, sans doute. Alors si un livre m’ennuie après trente, quarante ou cinquante pages, en raison de sa platitude ou de sa vulgarité (hélas si fréquente) je saute à la fin pour me féliciter de n’avoir rien raté et donc d’avoir gagné du temps pour en découvrir un nouveau.
Mais quand j’aime, alors là, je déguste. Je suis un lecteur lent. Cela signifie que je peux relire deux fois ou trois le même paragraphe en m’extasiant de la structure du texte, et surtout en me maudissant de ne pas l’avoir écrit moi-même. Je peux mettre une semaine pour cent cinquante pages car s’il s’agit d’un festin : cela se déguste !
Mais je peux aussi passer trois jours sans ouvrir un livre et enchaîner sur cinq dans la foulée. Je ne suis qu’un homme, vous savez. Je veux dire binaire : ON/OFF.
Quels sont vos livres de chevet ?
Au risque de faire hurler les puristes et les bien-pensants dont je me fiche éperdument, « Autant en emporte le vent » demeure mon inépuisable livre-source quand je n’ai plus de nouvel ouvrage à découvrir. (J’aurais pu dire « Du côté de chez Swann », pour faire bobo, mais ce serait mentir). Il y a un « souffle » si je puis dire entre ces pages qui me conquiert à chaque fois. Entendons-nous bien : j’ouvre le livre à n’importe quelle page et je deviens immédiatement un figurant de cette épopée, tellement moins froufroutante que le film dont je connais les dialogues par coeur.
Et évidemment, naturellement « Bonjour tristesse », sidérant de drôlerie, de mélancolie et de modernité. Savez-vous que j’ai rencontré Françoise Sagan dans la galerie marchande de Carrefour Boisseuil, en 1989 ? Elle était plantée devant la caisse centrale, aussi idéalement à sa place qu’une porcelaine de Saxe dans une machine à laver. Seule, elle attendait sa gouvernante partie acheter un aspirateur (je les ai suivies de loin, vous pensez !). J’ai conservé son autographe, jeté sur la couverture de mes cours de Droit. Mais je m’égare.
Et enfin le dernier ouvrage : « Naissance d’un pont », une claque monumentale qui a paralysé mon stylo pendant plus de six mois lorsque je l’ai découvert.
Pourquoi avez-vous rejoint le comité de lecture du prix littéraire Régine Deforges ?
Je l’ignore tout à fait. Seule Adeline pourrait vous le dire puisque c’est elle qui m’y a invité, et avec une telle simplicité que j’aurais été bien mufle de refuser. Mais entre nous, j’aurais tué pour en devenir membre une fois l’offre révélée : quel bonheur de découvrir des premiers romans tout juste sortis de l’imprimerie ! Mon premier réflexe, c’est de flanquer mon nez dans le papier et d’en respirer les trois parfums : encre, cellulose et colle. C’est très animal. Je sais que cela n’a rien de bien original, mais je ne revendique pas l’être.
Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
L’expérience 2020-2021 m’a permis de rencontrer de nouvelles personnalités, de nouvelles sensibilités et je n’aime rien tant que de me taire (si, si) et d’écouter parler les autres si tant est qu’ils aient quelque chose d’intéressant à partager. Et ce fut un délice cette année encore, en dépit de nos horribles masques en papier dénués de toute lettre imprimée dessus.
Je crois que ce qui me pousse à poser des jours de congé pour participer aux quelques rencontres du comité (quand mon emploi du temps le permet), c’est parce que j’ai la certitude d’entrer dans une parenthèse dans laquelle seule la littérature aura tous les droits, et parce qu’une parenthèse est toujours brève, je n’ai pas le droit de rater l’occasion de m’y glisser pour m’y sentir vivant, pleinement.
Durant les échanges, c’est plus l’écoute des membres du comité que mon ressenti à communiquer qui est important, car la qualité de lecture, les degrés de lecture de chacun, peuvent permettre de réaliser les erreurs que l’on a pu commettre sur sa propre perception d’un texte.
Découvrir un ouvrage dont la quatrième de couverture vous fait hurler intérieurement exige d’afficher un visage serein et d’écarter ses réticences premières (ne mentez pas, vous en avez comme moi !) tout autant que cela exige d’Adeline de déployer sa souriante force de conviction « Mais si, mais, vous allez adorer... ». C’est à n’en pas douter cet instant précis qui me console de déjà nous séparer jusqu’à la prochaine rencontre.
Quels sont les trois adjectifs qui pourraient la résumer ?
J’aurais préféré des noms, mais c’est vous qui posez les questions ! Alors je dirais « exigeante », « enrichissante », « captivante ».
Quels ont été vos coups de cœur lors de la sélection des huit finalistes ?
Mais Marie-Hélène ! Vous voulez vraiment que je flanque la scoumoune à mon livre préféré ? Quand je déteste un ouvrage, c’est toujours lui qui est désigné par le jury parisien. Alors n’imaginez pas un instant que je vais vous révéler que c’est « Un jour, ce sera vide » qui m’a subjugué de sa première à sa dernière ligne car je ne voudrais pas que son auteur ait à pâtir de ma malédiction… Eh flûte ! Mais ce n’est pas bien grave puisqu’il a déjà été honoré. Bon, alors puisque j’ai commencé, je dois finir. Ce serait injuste pour « Le lièvre d’Amérique » (si original) et « Louis veut partir » (si pudique). Je peux donc dès cet instant vous prédire que « On ne touche pas » raflera la mise talonné de près par les « Orageuses ». Mais chut !
Pourriez-vous partager une anecdote de votre participation au comité de sélection ?
Celle que je viens de vous narrer à l’instant. Je crois d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle Adeline m’invite à participer au comité de lecture : elle sait que si je déteste un roman, c’est le gagnant ! Quel gain de temps pour elle et mes semblables…
Le mot de la fin ?
Je préfère les points de suspension.
Charles Dellestable
Pour aller plus loin
Découvrez le retour de lecture de Charles (Louis veut partir) !
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