Résumé
Je suis le fils ordinaire d’un homme ordinaire. Ceci est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j’ai approfondi cette réalité, j’ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que ce qui a eu lieu dans ma vie, dans celle de mon père, tout a été accidentel. Et pourtant, nous les humains, ne vivons-nous pas en considérant comme la seule réalité possible ce qui n’est après tout qu’un simple fait dû au hasard ?
Dans ce texte inédit en France, superbement illustré, Haruki Murakami se livre comme jamais. Au gré de ses souvenirs teintés d'une poignante nostalgie, il remonte le fil de l'histoire de son père, interroge la responsabilité de ce dernier pendant la guerre et lève le voile sur leur relation complexe...
Notre chronique
On pourrait, à propos de ce livre, se calquant sur la formule (célèbre et laconique) « boy, meets girl » dire (simplement) « man remembers father ». Oui, mais voilà, l’homme en question est l’écrivain Murakami, et l’hommage qu’il rend à son père décédé, fouillant comme tant d’autres avant lui ce rapport si particulier, est empreint des qualités qu’on lui connaît : sensibilité, nostalgie, acceptation de l’inévitable, sentiment de l’irréversibilité des choses et de leur caractère fortuit.
Ce récit autobiographique est également le portrait d’un pays, le Japon (où, comme dans les illustrations proposées, tradition et modernité se côtoient), la trajectoire personnelle étant indissociable du destin national, l’histoire privée indissolublement liée à l’Histoire...
Ce récit autobiographique est également le portrait d’un pays, le Japon (où, comme dans les illustrations proposées, tradition et modernité se côtoient), la trajectoire personnelle étant indissociable du destin national, l’histoire privée indissolublement liée à l’Histoire...
« Un fragment anonyme de l’histoire »
Les références y sont constantes à l’écriture puisque Murakami père a été un grand poète, auteur de très beaux haïkus.
« Un jour, il a organisé une excursion dans les montagnes de Shiga, là où se trouve le temple Ishiyama. Nous nous sommes arrêtés dans un vieil ermitage où, dit-on, le poète Bashō avait séjourné un certain temps. Là, mon père a animé un atelier de haïkus. Cette scène, qui s’est déroulée durant un après-midi, subsiste, je ne sais pas très bien pourquoi, claire et vivante, dans ma mémoire. »
Des poèmes-cris époustouflants dans un monde où l’on n’avait pas le droit de se dresser contre la guerre…
« Oiseaux qui migrentAh, où vont-ilsVers mon pays sans douteÊtre un soldat être un moineLes mains jointes en prièreEt rejoindre la lune »
« Voilà ce qu’est l’histoire : une réalité froide et unique parmi une myriade d’éventualités. L’histoire n’appartient pas au passé. C’est quelque chose qui coule comme du sang chaud et vivant à l’intérieur de la conscience ou de l’inconscient et qui, inévitablement, se transmet à la génération suivante. »
« les résultats dépassent les causes, les absorbent, les neutralisent. »
Murakami part d’un souvenir frappant de jeunesse pour rédiger ce texte, pour notre plus grand plaisir. Il insiste sur le fait qu’il s’agit d’ordinaire, lui qui nous a habitués à l’extraordinaire :
« Il s’agit plutôt de scènes parfaitement ordinaires de la vie de tous les jours. »
C’est à partir de ce quotidien ténu, de ces observations « minuscules », de ces micro événements, que l’auteur tisse la trame de ce témoignage plein de pudeur et de tendresse (on imagine bien ces deux-là, maladroits dans leur affection, côte à côte, se parlant peu – les mots sont employés ailleurs) et, comme dans ces brefs poèmes, par petites touches qui vont droit à l’essentiel. Ni reproches ni regrets, si ce n’est comme toujours peut-être de n’avoir pas osé, pas pu dire à nos disparus à quel point on les aimait.
L’étrange pourtant, comme toujours, n’est jamais très loin. Les thématiques chères à Murakami de la mort, du sens de la vie, de l’impuissance, de l’admiration, du mérite, de la filiation et du soulagement sont présentes. Les symboles, tels que la lune, nous rappellent aussi son œuvre immanquablement.
« (...) nous sommes tous le fruit du hasard, et (...) tout ce qui a eu lieu dans ma vie et dans celle de mon père a été accidentel.Et pourtant, nous, les humains, ne vivons-nous pas en considérant comme la seule réalité possible ce qui n’est après tout que le simple fait du hasard ? Autrement dit, chacun de nous n’est qu’une goutte de pluie, anonyme parmi la multitude de gouttes qui tombent sur une vaste étendue de terre. Juste une goutte. Une goutte unique, qui possède son individualité, mais qui peut être remplacée. Et chacune de ces gouttes a ses propres sensations, elle a sa propre histoire et elle a la responsabilité de transmettre ce dont elle a hérité. Nous ne devons pas l’oublier. Même si nous perdons notre moi individuel pour être englobés, effacés dans un collectif. Je devrais plutôt dire précisément parce que cette individualité est remplacée par du collectif. »
Une plongée somptueuse dans le vide – et le trop-plein – laissé par l’absence, irrémédiable puisque même les souvenirs ne sont pas fiables. Cet abandon, posé dès le titre, est irrémissible.
Et pourtant, quelque chose reste, qui apporte une certaine sérénité.
Un texte puissant, tout en douceur et profondeur qui nous parle et nous touche. Un grand Murakami.
#HarukiMurakami #NetGalleyFrance
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