« C’est un homme. Elle se l’est dit ainsi, d’un bloc. Ce mot-là, « homme », dès qu’elle l’a vu. Il occupait entièrement le cadre de la porte. Un homme. Massif. Plus homme qu’une pierre estpierre.Cette phrase comme un coup que par la suite elle recevra chaque fois, s’imposant, comme cet homme-là. »
Isabel préfère le silence aux longs discours, quitte à paraître farouche ou même hostile. Quitte à prendre des décisions subites, que parfois elle ne s’explique pas elle-même. Ainsi, lorsqu’elle quitte son mari sur un coup de tête, avec sa fille et deux valises, elle ne sait pas vraiment où elle souhaite aller, ni ce qu’elle compte faire de cette soudaine liberté.
A Poullic, en Bretagne, elle loue une chambre chez Violette, une vieille dame qui l’aide à retrouver peu à peu le goût de vivre. Isabel commence à travailler à la bibliothèque municipale et, en parallèle, amorce une correspondance avec un homme dont elle ne sait rien, sinon qu’il purge une longue peine à la maison d’arrêt de Poissy.
De la correspondance aux rencontres, à ce parloir où ils vont se retrouver face à face, il n’y a qu’un pas. Mais celui-là est décisif. Le silence, il va falloir le briser.
Notre chronique
Un roman d’une pudeur bouleversante, dans lequel les silences parlent autant, sinon davantage, que les mots.
Dès les premières pages, Le Parloir m’a touchée par sa tonalité feutrée, presque murmurée. Isabel, l’une des protagonistes, est effacée, jusqu’au jour où elle décide de fuir. Non pas par caprice, mais comme on s’échappe d’une cage invisible. Elle quitte, avec sa petite fille, Marisol, un mari bon, une vie en apparence « normale », pour rejoindre Poullic, un hameau breton battu par les vents.
Quand je suis couchée sur la lande, c’est moi qui m’en vais. C’est aussi pour ça que je suis ici. Pour le rythme presque insulaire du vent, du ciel, des nuages et de la mer, lorsqu’on lève la tête, on a la sensation d’être sur un paquebot en partance pour le Nouveau Monde.
Là, dans cette Bretagne à la beauté rude, l’amitié de Violette et la mer l’aident à se reconstruire.
« Homme libre, toujours tu chériras la mer » écrivait Baudelaire.
Mais Isabel n’est pas encore libre et la mer ne suffit pas.
Mais Isabel n’est pas encore libre et la mer ne suffit pas.
Ce sont les lettres de Louis qui vont l’ouvrir à l’autre et à elle-même. Elle décide en effet d’échanger avec un détenu, d’abord par curiosité, puis par nécessité, sur les conseils de Violette (qui l’a fait par le passé). Louis, l’homme incarcéré, devient ce miroir sombre dans lequel elle se regarde enfin en face. Entre eux, pas de grands discours. Des bribes, des carnets partagés, des regards. Deux âmes à vif qui se reconnaissent, deux « taiseux » qui, au fil des parloirs, désapprennent la peur du lien.
L’alternance entre les scènes de la vie d’Isabel et les moments au parloir crée un rythme singulier, presque musical.
Isabel et Louis sont tous deux prisonniers, l’un entre quatre murs, l’autre entre quatre silences.
Quand je suis arrivé en prison, ce ne sont pas les murs dégueulasses, les portes en fer, l’absence de “loisirs”, les paroles vulgaires ou agressives des autres, matons et détenus, qui m’ont pesé. C’est une impression, qui tournait dans ma tête en une seule phrase, jusqu’à en perdre le sommeil : “Que me reste-t-il, à moi, que je puisse décider ? Que me reste-t-il de mon libre arbitre ? Dans cette cellule, où toutes les actions sont à heure fixe, les repas, la toilette, la promenade, l’extinction des feux, quel acte relève encore de ma propre décision ?” Cela me rendait fou, de ne pas pouvoir décider seul du moindre acte vital. Toute la liberté du monde me paraissait concentrée dans cette question : le pouvoir de décider, seul, d’un acte essentiel à ma vie. J’en ai trouvé un. J’ai arrêté de fumer.
Et le texte nous interroge : qu’est-ce que la liberté ? Est-elle dans le mouvement ou dans la parole ? Dans l’absence ou dans la présence ?
Elle a rapporté Spinoza, l’a tout de suite sorti de son sac et le lui a tendu sans un mot. Il a un petit geste du menton. “Alors ?” Elle hoche négativement la tête en haussant une seule épaule et il dit : “Ce n’est pas grave, je vais vous dire, moi, ce qu’il y a dedans. Il écrit que la liberté, elle est en nous, dans une certaine façon d’amadouer le temps. Quand vous êtes là, mon temps est à vous. J’aimerais vous amadouer, mais ce n’est pas gagné !”
Il ne s’agit pas d’une histoire d’amour au sens romanesque du terme, mais d’une lente traversée vers l’autre, et donc vers soi.
C’est parce qu’il la regarde, aujourd’hui, avec tant d’attention, qu’il comprend quelque chose d’elle. Pourquoi c’est si difficile de parler. Pourquoi les mots sont des cailloux pointus qui lui écorchent la bouche.
Isabel dessine. Elle écrit. Elle recommence à vivre. Et l’on comprend que Le Parloir est avant tout un roman sur la présence. Celle qu’on reçoit, celle qu’on offre. Une leçon de lenteur et de pudeur dans un monde bruyant et saturé.
Un texte profondément humain, à lire lentement, à relire, à méditer.
#LeParloir #NetGalleyFrance
Pour aller plus loin
Les noces barbares de Yann Queffélec (Gallimard)
La Méduse noire de Yann Queffélec (Calmann-Lévy)
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